Un dieu grec peut-il devenir fou?

LyssaUn dieu grec – ou une déesse – peut-il devenir fou ? Pour répondre à cette question, demandons-nous tout d’abord ce qui définit un dieu dans la Grèce ancienne.

Le plus souvent, les dieux ont été caractérisés en contraste avec les hommes : alors que les premiers ne meurent jamais, les seconds sont soumis à une mort inévitable. Les dieux boivent le nectar, mangent l’ambroisie, et dans leurs veines coule l’ichor ; les hommes boivent de l’eau ou du vin, mangent du pain et de la viande, et leur corps est irrigué par le sang. Les dieux sont aussi censés vivre sans soucis, mais cette disposition générale est fréquemment contredite par des exceptions, notamment dans les poèmes homériques. On pourrait encore relever le fait que les dieux se déplacent rapidement où ils veulent, qu’ils habitent des lieux inaccessibles aux hommes, et que leur aspect est insupportable aux hommes (c’est pourquoi ils se présentent aux hommes sous une apparence humaine). De plus, les actions des dieux sont irréversibles : ce qu’un dieu fait ne peut être défait, même par un dieu.

Et la folie dans tout cela ? Les dieux, eux, sont capables de rendre les hommes fous, comme en témoigne notamment le cas d’Héraclès, qui tue femme et enfants. Euripide, dans l’Héraclès, met en scène la Folie personnifiée (Lyssa), chargée de provoquer la furie du malheureux héros. Elle reçoit les ordres des dieux par l’entremise de leur messagère attitrée, Iris. Dans un autre contexte, le héros Ajax sombre aussi dans la folie devant les murs de Troie, ce qui l’amène à se suicider.

Les dieux, par contre, ne peuvent apparemment pas devenir fous. Leur nature reste toujours inchangée, comme le souligne Platon :

« Il est impossible pour un dieu de vouloir changer ; mais, semble-t-il, chacun d’eux est le plus beau et le meilleur possible, et il conserve toujours et invariablement la même forme. » (voir Platon, République 381c)

Sur la question précise de la folie, nous possédons un témoignage plus explicite, fourni par le poète Bacchylide : alors que les dieux infligent la folie, et en délivrent les humains, ils ne sont eux-mêmes pas atteints par ce mal. Ainsi, les filles de Proitos sont rendues folles par la déesse Héra ; le père s’efforce alors de les libérer de leur mal, comme le rapporte le poète :

« Or lorsque leur père eut atteint le cours du fleuve Lousos il y fit ses ablutions et invoqua la fille aux larges yeux de Létô, la déesse au voile de pourpre. Il tendit se mains vers les rayons du soleil aux chevaux rapides, demandant qu’elle délivre ses enfants de la funeste Lyssa qui rend les gens fous : ‘Je te sacrifierai vingt bœufs au poil roux qui n’ont pas connu le joug !’ La fille d’un père parfait, la chasseuse de bêtes sauvages [Artémis] l’entendit. Elle persuada Héra et délivra les jeunes filles couronnées de boutons de roses de la démence qui n’affecte pas les dieux. » (voir Bacchylide, Épinicie 11.95-109)

[Image: Lyssa (la folie personnifiée), cratère apulien (Berlin), env. 330/320 av. J.-C.]

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