Mourir en mer loin des siens

shipwreckDe tout temps, mourir en mer loin des siens a constitué une terrible souffrance, non seulement pour les victimes directes, mais pour leurs proches également. Des épigrammes grecques de la période hellénistique et romaine témoignent de telles situations.

Il ne se passe pas une semaine sans que nous apprenions que des centaines de migrants ont péri en mer, naviguant sur des embarcations surchargées et incapables d’affronter les vagues. Les mots ne sauraient suffire à décrire l’horreur de la noyade. Pour les survivants restés au pays, il reste cependant une douleur d’un autre genre, celle de la perte d’un être cher dont on ne pourra même pas récupérer le corps pour lui rendre un dernier hommage. Dans l’Antiquité, on a parfois érigé des cénotaphes, tombes vides rappelant le souvenir du disparu. Celui-ci livrait un dernier message par le biais d’une inscription gravée sur le monument. Chaque passant, en lisant le texte, redonnait vie au défunt pour quelques instants.

« Moi Théris, même mort, poussé vers la côte par les vagues après mon naufrage, je n’oublierai pas le rivage qui me prive du sommeil. Car sur les écueils battus par les flots, près de la mer inhospitalière, j’ai reçu une sépulture des mains d’un étranger. Et toujours j’entends gronder, malheureux, même chez les morts, le vacarme horrible de la mer. Mes peines, Hadès ne les a pas endormies : seul, même mort, je gis sans goûter au repos léger. » [Épigramme d’Archias de Byzance ; voir Anthologie Palatine 7.278]

Ces textes poignants ont donné naissance à une forme de fiction littéraire, dans laquelle les poètes ont rivalisé pour exprimer cette douleur que nombre de Grecs ont dû connaître de façon intime. On désigne ces brefs poèmes sous l’appellation de nauagika « poèmes de naufragés ». Une sélection figure dans l’Anthologie palatine (7.263-294), une compilation d’épigrammes de la période hellénistique et romaine. Par ailleurs, une série d’épigrammes du poète Posidippe (IIIe s. av. J.-C.), redécouvertes au début du XXIe siècle, nous a livré plusieurs nouveaux nauagika.

« Je suis mort dans un naufrage ; et Léophantos a pris le soin de me pleurer, puis de m’ensevelir, alors que lui-même était pressé comme un voyageur en terre étrangère. Mais moi, je suis trop petit pour dire un grand merci à Léophantos. » [voir Posidippe, épigramme n° 94]

Le naufrage et la noyade signifiaient la destruction d’un espoir, d’un projet de vie. La disparition du corps ajoutait à la douleur de la famille.

« Lysidiké, ta chevelure ruisselle d’eau de mer, jeune fille au destin malheureux, naufragée qui as péri en mer. Dans les flots déchaînés, craignant la violence des vagues, tu es tombée de la nef creuse. Et ta sépulture prête une voix pour dire ton nom et ta patrie, Kymé, tandis que tes ossements sont trempés sur un froid rivage. C’est un sujet de vive douleur pour ton père, Aristomachos, qui t’accompagnait à tes noces et n’a pu amener ni une jeune fille ni même son cadavre. » [Épigramme de Xénocritos de Rhodes ; voir Anthologie Palatine 7.291]

[image adaptée de Wiki Commons http://commons.wikimedia.org ]

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