Redresser les finances athéniennes par l’esclavage ?

SNGCop_039 (2)Au IVe s. av. J.‑C., Xénophon propose une solution pour le moins surprenante afin de redresser les finances d’Athènes : utiliser des esclaves dans les mines du Laurion.

Les difficultés financières en Grèce n’ont pas commencé au XXIe siècle : déjà autour de 355 av. J.‑C., la cité d’Athènes se trouve confrontée à un grave déficit qui amène l’un de ses citoyens, Xénophon, à proposer une solution originale : il suffirait que la cité acquière un nombre important d’esclaves, les fasse travailler dans les mines d’argent du Laurion, au sud de l’Attique, et prélève le bénéfice pour remplir les caisses de la cité. Xénophon a développé ce concept économique ébouriffant dans un bref pamphlet intitulé Les revenus (en grec : poroi), qui nous est conservé.

Il ne s’agit évidemment pas de préconiser le retour de l’esclavage pour redresser les finances de l’État grec moderne. On pourra néanmoins constater que, en matière de théorie économique, les Athéniens de la période classique avaient déjà compris un certain nombre de choses. Xénophon avait notamment conscience de l’importance de la monnaie dans un système de consommation :

« Lorsque les cités sont prospères, les hommes ont un fort besoin d’argent : car ils veulent dépenser pour acheter de belles armes, de bons chevaux, des maisons et de splendides ameublements ; et lorsque les cités souffrent, sous l’effet soit d’une mauvaise récolte soit d’une guerre, on a d’autant plus besoin de monnaie pour se procurer le nécessaire et des alliés. » [voir Xénophon, Revenus 4.8-9]

L’argent, qui sert à fabriquer la drachme athénienne, constitue le fondement du projet développé par Xénophon. Les mines du Laurion ont déjà servi, dans le passé, à financer la construction d’une flotte de guerre grâce à laquelle les Athéniens – en 480 – ont infligé une cuisante défaite à la flotte perse au large de l’île de Salamine. La difficulté, selon Xénophon, c’est que les bénéfices de l’exploitation des mines finissent dans la poche d’entrepreneurs privés, alors que la cité pourrait elle aussi exploiter le filon.

« Ceux d’entre nous que la question préoccupe savent depuis longtemps, je pense, qu’autrefois Nicias fils de Nicératos a acheté mille esclaves pour les faire travailler dans les mines ; il les louait à Sosias le Thrace, à condition que celui-ci lui paie chaque jour une commission nette d’une obole [un sixième de drachme] par homme et qu’il maintienne les effectifs constants. » [voir Xénophon, Revenus 4.14]

Xénophon décrit ainsi un système dans lequel un entrepreneur acquiert des esclaves, les confie à un sous-traitant étranger, et se contente de percevoir une commission certes modeste, mais qui est démultipliée par le nombre impressionnant des esclaves engagés, et qui se renouvelle chaque jour. Le propriétaire des esclaves s’épargne tous les soucis puisque c’est à son sous-traitant d’entretenir la troupe des hommes à exploiter. Ainsi l’investissement de départ consenti par Nicias pour acheter ses mille esclaves aura été rapidement rentabilisé. Xénophon propose désormais que la cité athénienne fasse de même, et que l’État devienne lui aussi un entrepreneur.

« Si l’on réalisait ma proposition, la seule innovation serait la suivante : de même que des particuliers achètent des esclaves et en tirent un revenu considérable, de même la cité pourrait acheter des esclaves publics, jusqu’à atteindre trois hommes pour chaque citoyen athénien. » [voir Xénophon, Revenus 4.17]

Le projet de Xénophon ne résoudra pas la crise financière actuelle en Grèce, et d’ailleurs les Athéniens de l’époque n’ont pas mis en œuvre cette mesure. Le pamphlet rédigé par Xénophon soulève cependant des questions. Athènes, berceau de la démocratie, devait une partie de sa prospérité aux mines d’argent situées dans le massif montagneux du Laurion, à l’extrémité sud de l’Attique. Les esclaves utilisés pour extraire le précieux minerai risquaient tous les jours leur vie dans de sombres boyaux qui pouvaient s’effondrer à tout moment. Encore aujourd’hui, le visiteur passant sur les hauteurs du Laurion prend le risque de tomber dans des puits profonds qui parsèment le paysage. De riches citoyens athéniens investissaient donc leur capital dans l’acquisition d’esclaves, considérés comme de simples moyens de production. Leur contribution au fonctionnement du système se limitait à la perception d’une commission auprès de leurs sous-traitants, des étrangers qui assuraient la gestion concrète de l’opération. La proposition de Xénophon, consistant à transformer l’État en un entrepreneur, s’explique notamment par le fait que l’impôt sur le revenu n’existait pas dans l’Athènes antique. Si cette cité a produit le modèle sur lequel se sont construites nos démocraties modernes, en revanche elle a aussi rencontré des difficultés importantes, notamment sur le plan financier.

[image : tétradrachme attique, env. 450 av. J.‑C. http://en.wikipedia.org/wiki/Greek_drachma ]

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