Dans l’Antigone de Sophocle, le chœur s’émerveille de la manière dont l’homme, par le progrès technique, est parvenu à développer une vie civilisée. Toutefois, il y a des limites que l’homme ne parviendra pas à dépasser.
Le Ve siècle av. J.-C. correspond à la période où, en particulier à Athènes, l’on assiste à des progrès fulgurants de la vie intellectuelle. Des penseurs, venus de nombreuses autres cités grecques, se massent dans la ville de Périclès. Les citoyens, quant à eux, peuvent assister à la représentation de spectacles dramatiques, tragédies et comédies. À travers les récits mis en scène par les poètes, ils sont confrontés à une profonde réflexion sur la vie civique, sur leur rapport avec les dieux, et plus généralement sur la condition humaine.
Sophocle, dans son Antigone, invite le spectateur à considérer la tension entre Antigone, fidèle aux lois des dieux, et son oncle Créon, qui veut faire respecter ses décrets royaux. L’action est interrompue par un stasimon. Ce chant, exécuté par le chœur, fonctionne comme une sorte de commentaire général, illustrant aussi bien ce que l’homme a fait de meilleur et ce qu’il ne pourra jamais faire.
« Il existe beaucoup de sujets d’étonnement, mais rien n’est plus étonnant que l’homme.
Il est capable de franchir la mer écumeuse dans le vent hivernal, traversant l’enflure assourdissante des vagues.
Il remue la déesse vénérable entre tous, l’inépuisable et infatigable Terre, de ses charrues qui vont et viennent, année après année, la retournant de la puissance de ses chevaux.
Il attire la race des oiseaux étourdis pour les capturer.
Il prend dans les mailles de ses filets la multitude des bêtes sauvages ainsi que les poissons des mers, homme à l’esprit habile.
Il s’empare, par des pièges, des fauves sauvages qui parcourent les cimes.
Il soumet au joug le cheval à la crinière touffue ainsi que l’infatigable taureau des montagnes.
Il s’est appris la parole, la pensée rapide comme le vent, ainsi que les dispositions qui régissent les cités.
Il s’est enseigné, plein de ressources, à échapper au climat des reliefs inhospitaliers et aux traits de l’orage.
Il ne manque de ressources contre rien de ce qui pourrait lui arriver.
Néanmoins, il ne trouvera pas d’échappatoire à la mort, même s’il a conçu des moyens d’éviter des maladies incurables.
En possession d’une habileté qui lui confère des capacités au-delà de toute espérance, il se tourne tantôt vers le mal, tantôt vers le bien.
Qu’il respecte les lois de sa terre, et aussi la justice des dieux à laquelle, ressortissant d’une fière cité, il a juré fidélité.
Mais celui qui fait le mal en cédant à son emportement sera exclu de sa cité.
Celui qui agirait ainsi, je ne saurais ni l’accueillir dans mon foyer ni partager ses idées. »
[voir Sophocle, Antigone 1er stasimon (332-375)]
L’homme est donc, si l’on en croit Sophocle, un être doué d’une habileté extraordinaire ; mais il ne saurait dépasser la limite de la mortalité, sinon il entrerait en concurrence avec les dieux. À qui s’adresse le message ? À Créon ? Au spectateur athénien ? Probablement aux deux.
[image : intérieur du Nautilus, d’après Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne. Image adaptée à partir de wiki commons http://commons.wikimedia.org ]