La Gay Pride de Sion, contestée par les plus conservateurs, a été une manifestation d’apaisement ; elle n’a cependant pas atteint le faste de la procession organisée par le roi Ptolémée Philadelphe
Le weekend passé, la Gay Pride a fièrement défilé dans les rues de Sion, sans chercher à bousculer les calices de la très conservatrice fraternité d’Écône. La communauté des LGBT (lesbiennes – gays – bi-sexes – transgenres) a bien le droit de manifester ; après tout, cela ne fait plus tourner le lait des vaches dans le Val d’Hérens.
La sobriété de la manifestation contraste avec le faste d’un défilé organisé par le roi d’Égypte Ptolémée II Philadelphe dans le stade d’Alexandrie autour de 278 av. J.-C. C’est l’occasion de rappeler ce cortège d’un autre genre, décrit par Callixène de Rhodes, puis transmis par Athénée, un érudit du début du IIIe s. ap. J.-C. De ce long reportage sur le vif, ne retenons que quelques passages particulièrement frappants :
« En premier marchait l’Étoile du Matin : car la procession avait commencé au moment où apparaissait cet astre. Puis venait le groupe nommé d’après la famille royale, le groupe associé à tous les dieux, portant les attributs liés à chaque divinité. L’Étoile du Soir fermait la marche, marquant le moment de la fin de la manifestation. (…)
Dans la partie du cortège consacrée à Dionysos, des Silènes ouvraient la marche pour contenir la foule, vêtus de manteaux de couleur pourpre et cramoisie. Sur chaque côté du stade suivaient vingt satyres portant des torches parées de lierre doré. (…)
(Plus loin venaient) deux Silènes en manteaux de pourpre, avec des sandales blanches. L’un portait un chapeau à larges bords et un bâton de héraut doré, tandis que l’autre avait une trompette. Entre les deux cheminait un homme assez grand, de près de deux mètres de haut, habillé en costume d’acteur tragique avec un masque, portant une corne d’abondance. (…)
(Plus loin, il y avait) un char à quatre roues de douze mètres sur huit, tiré par cent quatre-vingt hommes. Sur le char se dressait une statue de Dionysos de cinq mètres de haut, qui versait du vin à partir d’un vase en or. (…)
[Callixène décrit une grande quantité de chars, plus fastueux les uns que les autres.]
Un autre char à quatre roues représentait le retour de Dionysos depuis les Indes. Il portait une statue de Dionysos de six mètres couché sur un éléphant et vêtu d’un habit de pourpre, d’une couronne de lierre et tenant un cep d’or. (…)
Il était suivi par cinq cents filles habillées de robes de pourpre, avec une ceinture d’or. (…)
Il y avait vingt-quatre quadriges tirés par des éléphants, soixante biges tirés par des chèvres, douze par des antilopes, sept par des oryx, quinze par des buffles, huit par des autruches, sept par des ânes-cerfs, quatre par des onagres, et quatre quadriges tirés par des chevaux. (…) Des chameaux portaient 150 kg d’encens, 150 kg de myrrhe, 100 kg de safran, de la cannelle et d’autres épices. (…) Des Éthiopiens portaient des présents, six cents défenses d’éléphants et deux mille troncs d’ébène. (…) Puis venaient cent cinquante hommes portant des arbres auxquels on avait suspendu des cages contenant de nombreux perroquets, paons, pintades, faisans et d’autres oiseaux éthiopiens. (…)
Pour fermer la procession, il y avait les forces armées, cavalerie et infanterie, armées de façon remarquable. L’infanterie comptait 57’600 hommes, la cavalerie 23’200. Ils portaient tous leur uniforme et l’armement approprié. »
[voir Athénée, Les sophistes au banquet, livre 5, 27-35 (197c – 203b)]
On n’en demande pas autant à la Gay Pride. Que ses participants aient pu défiler tranquillement, sans heurts, est déjà une belle victoire.
[image adaptée de : Le triomphe de Dionysos, Palais Farnèse, Rome]
Je me demande si je peux continuer à poster des commentaires, car il est un peu étrange d’être seule à le faire…En même temps, ce blog correspond exactement à ce qu’il me faut, puisque – mon entourage le sait -, ce que je souhaitais avant tout est de lire du grec, pas seulement dans ma spécialité (je travaille sur le roman grec), mais aussi en-dehors et en plus de celle-ci. Et, par exemple, alors que j’avais déjà entendu parler des « Deipnosophistes », mais que je n’avais jamais rien lu de ce texte, j’ai pu à présent lire la page d’Athénée de Naucratis qui « correspond » au défilé Gay Pride de Sion. Je trouve intéressant de relier un thème de la société ou de la presse actuelle avec un texte ancien, en ajoutant un petit commentaire qui anime l’ensemble. Quant à lire sur Internet, j’en ai l’habitude et, depuis environ cinq ans, ma tablette m’est devenue aussi précieuse que les livres. Je me demande même s’il y a des jours où je ne m’en sers pas?
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Vos commentaires sont les bienvenus. Merci ! J’espère que vous continuerez : cela donnera peut-être des idées à d’autres lectrices et lecteurs.
C’est aussi l’occasion d’expliciter mon intention avec ce blog. Il s’agit avant tout de partager avec celles et ceux qui le souhaitent des passages particulièrement intéressants de la littérature grecque. Les auteurs grecs nous ont laissé de véritables perles qu’il s’agit de (re-)découvrir et de mettre à la portée d’un public large. Le choix des sujets permet de constater que des textes vieux de parfois plusieurs millénaires trouvent encore un écho dans ce que nous vivons aujourd’hui. Lorsqu’on lit des épigrammes relatives à des naufragés morts en mer, il est difficile de ne pas avoir une pensée pour les milliers de personnes qui ont perdu la vie au cours des derniers mois dans cette même Méditerranée où des milliers de touristes iront se baigner cet été. Et inversement, lorsqu’un politicien tente d’augmenter sa visibilité à la veille des élections fédérales en s’attaquant à tous ceux qui réfléchissent sans rechercher le profit économique immédiat, il faut savoir que ce débat remonte déjà à l’Athènes classique. Par ailleurs, certains passages de la littérature grecque sont simplement soit beaux, soit intéressants, soit amusants, soit instructifs. Au lieu d’emprunter une traduction déjà en circulation, j’ai pris sur moi de traduire les passages qui vous sont offerts. Que chacun y trouve son profit.
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Je vais continuer à lire vos choix de textes et à les commenter, au moins de temps à autre, parce que vos principes de départ pour ce blog me paraissent intéressants. Je peux aussi contribuer à faire connaître autour de moi votre blog ou vos textes. Ce n’est pas que j’aie une immense influence, mais quelques-uns de mes contacts pourraient être intéressés par votre initiative.
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Oui, effectivement, n’hésitez pas à communiquer le lien à tout personne intéressée. C’est la seule manière de faire vivre un site comme celui-ci.
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