Tourisme, temples grecs et forçats africains

Agrigent_Ruine_ZeustempelLa Vallée des Temples à Agrigente, en Sicile, permet d’admirer de magnifiques temples grecs. N’oublions cependant pas que la prospérité des cités siciliennes repose en partie sur le travail de prisonniers de guerre venus d’Afrique.

Le touriste qui visite la Vallée des Temples à Agrigente ne peut être que frappé par les dimensions colossales des constructions qui se présentent à ses yeux. La taille même des bâtiments témoigne de la puissance des tyrans grecs qui, installés à la tête de diverses cités sur le pourtour de la Sicile, ont fait de cette île l’une des régions les plus prospères de la Méditerranée dans la première moitié du Ve siècle av. J.-C.

En 480 av. J.-C., les cités grecques de Sicile sont donc au sommet de leur splendeur et de leur puissance. Elles doivent cependant affronter un dangereux ennemi : les Carthaginois, installés sur la côte de l’actuelle Tunisie (à environ 300 km à vol d’oiseau), ont en effet lancé leur flotte contre la Sicile.

Au même moment, le roi de Persès Xerxès a déclenché une vaste attaque contre la Grèce proprement dite : son armée et sa flotte sont brièvement freinées, respectivement aux Thermopyles et au Cap Artémision, mais cela n’empêche pas les Perses de prendre Athènes, de l’incendier, et de parquer leur flotte devant Athènes, près de l’île de Salamine.

Si l’on en croit l’historien grec Diodore de Sicile (Ier s. av. J.-C.), un seul jour décide du sort des Grecs à la fois en Grèce et en Sicile : tandis que les Athéniens battent la flotte perse à Salamine, les cités grecques de Sicile l’emportent sur les Carthaginois de manière décisive à Himère.

La bataille d’Himère ne fait pas que sauver les cités grecques de Sicile : elle leur permet de mettre la main sur des milliers de prisonniers de guerre, comme le rappelle Diodore de Sicile.

« Les cités mirent des entraves aux prisonniers qui avaient été distribués et réalisèrent des infrastructures publiques grâce à eux. Les habitants d’Agrigente en avaient reçu le plus grand nombre ; ils embellirent leur cité et leur territoire. Le nombre de prisonniers était chez eux tellement élevé que beaucoup de particuliers en possédaient chez eux cinq cents. Ce qui contribua à la multitude des prisonniers, ce n’est pas seulement le nombre de soldats envoyés à la bataille, mais aussi le fait que, après avoir été mis en déroute, beaucoup de fuyards avaient gagné l’intérieur des terre, et en particulier le territoire d’Agrigente. Comme ils avaient tous été pris par les Agrigentins, la cité regorgeait de prisonniers.

La plupart d’entre eux furent attribués à l’État, et on les employa à tailler des pierres. Ainsi, non seulement on érigea les plus grands temples pour les dieux, mais on construisit des égouts pour évacuer les eaux de la ville. Ces infrastructures sont d’une taille telle qu’elles méritent d’être contemplées en dépit du mépris qui s’attache à de telles constructions. (…)

Le territoire était fertile ; on le couvrit entièrement de vignes et l’on planta des vergers de toutes sortes, ce qui procura à la cité d’importants revenus. »

[voir Diodore de Sicile 11.25.2-5]

Parmi les constructions réalisées au lendemain de la bataille d’Himère, on peut relever en particulier un temple dédié à Zeus, dont il ne reste aujourd’hui que des ruines (voir l’image ci-dessus). De manière plus générale, le témoignage de Diodore nous montre que la prospérité économique des cités de Sicile reposera, pendant plusieurs décennies, sur l’utilisation de milliers de prisonniers de guerre venus d’Afrique. Pendant cette même période, les tyrans siciliens participeront – à grands frais – à des courses de char à Olympie et à Delphes ; ils feront célébrer leur richesse et leurs exploits par des chants composés par les meilleurs poètes du moment, Pindare, Simonide et Bacchylide.

Aujourd’hui, le touriste suisse a la chance de pouvoir visiter la Sicile et admirer ce qui subsiste de la puissance des cités grecques, notamment à Agrigente. Qu’il se rappelle tout de même que ces merveilles ont été bâties, au moins en partie, à la sueur du travail accompli par des prisonniers de guerre.

La situation de la Suisse d’aujourd’hui n’autorise pas une comparaison trop simpliste avec la Sicile antique. Néanmoins, à l’heure où des voix s’élèvent pour dire que notre pays ne peut pas partager sa prospérité avec des migrants venus d’Afrique, gardons à l’esprit le fait que nos maisons, nos routes, nos tunnels et nos barrages ont été aussi construits pour l’essentiel par des travailleurs étrangers.

[image (adaptation) : ruines du Temple de Zeus à Agrigente]

2 réflexions sur “Tourisme, temples grecs et forçats africains

  1. La reprise du blog après la pause mi-juillet à mi-août m’a fait plaisir.
    Pour le blog précédent, à propos de Théocrite et de la chaleur de l’été, j’avais pour moi-même, et sans vérifier les détails qui correspondent et ceux qui ne correspondent pas, comparé avec l’été dans « Daphnis et Chloé », puisque dans le roman de Longus l’été et la nature à cette saison chaude sont aussi largement décrits. L’été, ses fruits et ses mouches, le travail du lait rendu plus difficile, la sieste à l’heure la plus accablante…
    De même, dans ce blog de rentrée, les forçats construisant des temples m’ont fait penser à Chairéas dans un autre roman grec, puisque Chairéas, fait prisonnier, est condamné à « creuser » et il en meurt presque; il n’a pas la force de faire ce travail dont heureusement son ami Polycharme se charge pour l’aider. Que ferait-on sans amis! Il est vrai que Chairéas creuse peut-être plutôt des sillons pour cultiver la terre, mais cela revient au même dans la mesure où il est esclave et condamné à du travail de forçat.
    Pour la Sicile, j’espère que j’aurai un jour l’occasion d’aller voir ces temples, même si l’image montre un temple complètement effondré, alors que j’ai entendu dire que c’est en Sicile qu’on trouve les temples grecs les plus entiers…

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    • Rassurez-vous, plusieurs édifices de la Vallée des Temples d’Agrigente sont encore debout. Il m’a néanmoins paru préférable de montrer celui dont la date de construction correspond précisément aux événements décrits.

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