Adieu à la saucisse

sacrificeL’OMS recommande de limiter la consommation de charcuterie et de viande rouge : faut-il renoncer à un usage plusieurs fois millénaire ?

Une étude scientifique a établi une corrélation assez nette entre, d’une part, la consommation de viandes transformées et de viande rouge, et, d’autre part, la fréquence de cancers du côlon et de l’estomac.

Sur la base de cette étude, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande de diminuer la consommation de ces produits carnés. La charcuterie et la viande rouge se trouvent désormais dans une liste de produits cancérigènes, à côté du tabac et de l’amiante.

Adieu steaks grillés, adieu Bratwurst et salami ! Nous pouvons aussi prendre congé du vendeur de saucisses apparaissant dans les Cavaliers d’Aristophane. Quant au Cyclope Polyphème, il prendra soin de sa santé en renonçant à dévorer les compagnons d’Ulysse : il se contentera désormais de ses fromages de brebis et d’un bon plat de cresson.

La nouvelle fera tout de même plaisir à un sage de la Grèce antique. Il s’agit de Pythagore, philosophe du VIe s. av. J.-C., qui nous a laissé en héritage au moins deux éléments importants : d’abord le théorème sur lequel nous avons tous sué dans notre jeunesse ; ensuite, la pratique du végétarianisme. Pythagore partageait avec certains sages de l’Inde la croyance selon laquelle les êtres se réincarnent. Par conséquent, manger de la viande présentait le risque que l’on dévore un congénère.

Comme Pythagore n’a pas laissé d’écrits, on doit se rabattre sur des sources plus tardives pour comprendre sa pensée. Un auteur du début du IIIe s. ap. J.-C., Flavius Philostrate, a rédigé une Vie d’Apollonios de Tyane. Apollonios était une sorte de gourou inspiré, vivant au Ier siècle de notre ère ; il se considérait comme un disciple de Pythagore. Au début de la Vie d’Apollonios de Tyane, on trouve un rappel de la doctrine pythagoricienne relative au végétarianisme.

« [On dit que Pythagore] refusait de porter des vêtements fabriqués à partir d’animaux morts, et qu’il évitait de se souiller avec de la nourriture provenant d’êtres vivants ou avec des sacrifices. En effet, disait-il, il ne couvrait pas les autels de sang, mais c’était une galette au miel, de l’encens et des hymnes qu’il consacrait aux dieux. Il savait que les dieux appréciaient bien plus de telles offrandes que les hécatombes et le couteau placé dans le panier du sacrifice. »

Apollonios, en disciple scrupuleux, s’était donc rallié aux principes énoncés par son lointain maître. Pythagore était-il veggie ou vegan ? Difficile de le dire. Ou alors il pratiquait la détox, tout en sachant que le terme « toxique » vient directement de l’arc (toxon) d’Apollon, le dieu qui envoie la maladie?

Quoi qu’il en soit, on peut parier que Pythagore et Apollonios, s’ils avaient pris connaissance de la recommandation de l’OMS, auraient tous deux applaudi. En revanche leurs contemporains, dans leur immense majorité, auraient fait la moue : le sacrifice, puis la consommation des viandes du sacrifice, étaient un rituel solidement ancré dans la tradition.

Avec l’avènement du christianisme, le sacrifice a été remplacé par la Sainte Cène, où l’hostie prend la place de la viande, et où le vin se substitue au sang de l’animal. Dans le rituel, le sacrifice sanglant est devenu végétarien.

Entre la consommation effrénée de viande rouge et l’abstention totale, peut-être serait-il préférable de suivre une voie médiane. On pourrait s’inspirer de la maxime de Delphes : mêden agan, « rien de trop ». Il reste ainsi un espoir pour les amateurs de saucisses.

[image : sacrifice d’un sanglier, vase du Musée du Louvre]

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