Les Grecs sont passés par la Suisse, Byzance y est restée

byzanceLes Argonautes, sous la conduite de Jason, sont passés par la Suisse. Et Byzance, descendante directe des Grecs, a aussi laissé sa marque dans le pays, comme en témoigne une exposition récemment inaugurée à Genève.

Qui l’eût cru ? Les Argonautes, guidés par Jason pour quérir la Toison d’Or, ont fait un crochet par la Suisse pendant leur voyage de retour vers la Grèce. C’est du moins ce que suggère Apollonios de Rhodes, un poète grec du IIIe s. av. J.-C., dans ses Argonautiques. Certes, Apollonios n’a jamais mis les pieds en Suisse, et ses connaissances de la géographie helvétique sont un peu rudimentaires, mais on se laissera néanmoins persuader par son récit plein de verve.

Les Argonautes, dans leur long périple, remontent la Mer Adriatique pour atteindre le Pô. Ce fleuve, d’après Apollonios, permet de remonter jusqu’à une bifurcation : à droite, le cours du Rhin, à gauche celui du Rhône.

« De là, [les Argonautes] s’engagèrent dans le cours profond du Rhodanos [aujourd’hui : le Rhône] qui se jette dans l’Éridan [aujourd’hui : le Pô], leurs eaux se mélangent en mugissant. Ce fleuve vient des profondeurs de la terre, où se trouvent les portes et les demeures de la nuit. Depuis ce point, il continue : d’un côté, il atteint en rugissant les côtes de l’Océan [Rhin] ; de l’autre, il se jette vers la côte ionienne vers la Mer de Sardaigne, poussant son cours dans l’immense golfe à travers sept bouches [delta du Rhône].

Depuis le fleuve, ils poursuivirent leur navigation vers les lacs tempétueux qui s’étendent à perte de vue dans le territoire des Celtes. Et là, ils manquèrent de connaître un destin misérable : car l’un des bras menait vers un golfe de l’Océan où ils étaient sur le point de se jeter à leur insu ; de là, ils ne seraient pas retournés indemnes. Mais Héra s’élança du ciel et, du haut du Roc Hercynien, poussa un cri. Quant à eux, ils furent tous effrayés par son cri, tandis que le vaste éther retentissait. Grâce à la déesse, ils rebroussèrent chemin et comprirent quel était le chemin à suivre pour rentrer chez eux. Il leur fallut du temps pour atteindre la côte baignée par la mer, par la volonté d’Héra. Ils traversèrent le territoire des Celtes et des Ligures sans être inquiétés : en effet, la déesse avait répandu autour d’eux une brume extraordinaire pendant tout la durée de leur trajet. »

[voir Apollonios de Rhodes, Argonautiques 4.627-649]

On devine que les Argonautes, arrivant depuis le Pô, s’engagent d’abord dans le cours du Rhin. Ils vont probablement être précipités dans les chutes du Rhin, mais Héra les retient eu dernier moment et ils choisissent alors de suivre le cours du Rhône. Ils traversent les « lacs celtes », c’est-à-dire les lacs du Plateau suisse : Lac de Constance, Lac de Neuchâtel, Lac Léman. Puis ils suivent encore le cours du Rhône pour atteindre la Camargue, avec les Bouches du Rhône.

Il ne subsiste plus aucune trace du passage des Argonautes en territoire suisse, et pour cause : l’épisode est manifestement inventé par le poète sur la base de connaissances hydrographiques assez rudimentaires.

Mais cela ne signifie pas pour autant que la Suisse en ait fini avec la Grèce. Plus d’un millénaire et demi après la visite de Jason, à des milliers de kilomètres, fleurit l’Empire byzantin. Sa capitale, Constantinople (anciennement Byzance, c’est-à-dire la future Istanbul), est un haut lieu de la culture, de l’érudition et des arts. Et comme tout empire fleurissant qui se respecte, Byzance rayonne loin à la ronde. De cet extraordinaire foisonnement, la Suisse conserve aussi des traces remarquables, comme en témoigne une exposition qui vient d’ouvrir à Genève, au Musée Rath. Ivoires, monnaies, vaisselle d’argent, le visiteur peut y contempler les vestiges d’un art raffiné au rez-de-chaussée. En descendant au sous-sol, on découvrira aussi des livres produits par les meilleurs scribes de l’Empire. Ces livres témoignent d’une activité incessante de lecture, d’interprétation et d’explication des modèles antiques. Pour l’essentiel, c’est à ces scribes de Byzance que nous devons notre connaissance de la littérature grecque ancienne.

Jason a ouvert les portes de la Suisse ; Byzance s’y est invitée ; que les Grecs soient toujours les bienvenus chez nous !

[image : calice avec inscription syriaque, région d’Antioche, VIII/IXe s. ap. J.-C. Image adaptée à partir du dépliant de l’exposition.]

Une réflexion sur “Les Grecs sont passés par la Suisse, Byzance y est restée

  1. Je n’écris pas de commentaire dans ce blog sans avoir lu les textes grecs en renvoi, dont la longueur convient très bien à ce que je peux lire en un temps raisonnable et en m’appuyant sur la traduction, même si je me demande comment des personnes qui n’ont pas déjà fait beaucoup de grec pourraient les lire. Ici, selon moi, la géographie fantaisiste d’Apollonios de Rhodes rend la lecture difficile, parce que, si on y superpose, comme il est naturel de le faire, la géographie réelle telle que nous l’avons en tête, on ne sait plus trop où on en est dans le texte entre Rhin, Rhône, Ionie et Océan…Il n’empêche qu’avoir quelques vers si anciens sur les lacs suisses et sur les Celtes a beaucoup de charme!

    Pour Byzance, je me rappelle qu’elle a été présente en Suisse en novembre 2009 sous la forme d’une semaine de lectures byzantines à Fribourg, à laquelle je m’étais inscrite en tant qu’auditrice libre. Or, était venue une dame anglaise, Mme Alice Talbot, qui avait recommandé d’apprendre le grec moderne à ceux qui voulaient lire du grec byzantin, car la différence entre ces deux aspects de la langue grecque n’est pas très grande. Elle-même l’avait fait et elle s’en était très bien trouvé. Elle avait dit aussi qu’il y a là un domaine de recherche important, étant donné que beaucoup de pages du Moyen-Age ne sont pas encore traduites. Pour moi qui avais commencé à apprendre le grec moderne, en complément du grec ancien, avant le conseil de cette dame, j’ai continué avec plus de conviction encore après son intervention et j’ai même passé des examens de grec moderne à un niveau avancé, ces examens ayant été entre-temps créés par la Grèce (bureau à Thessalonique) sur le modèle des examens de langues s’appuyant sur le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues.

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