Réjouissons-nous : le dernier épisode de Star Wars est sorti. Or la recette de ce bouillon mythologique est bien plus ancienne, comme le savent les lecteurs des Dionysiaques de Nonnos.
Le dernier épisode de Star Wars (VII, si j’ai bien compté) est enfin sorti, juste à temps pour la période des Fêtes. Tatatataaaaaaaa ! Crunch ! Bing ! Dzam ! L’imagination des producteurs ne connaît pas de limites lorsqu’il s’agit de nous servir un bouillon mythologique à la surface duquel flottent des débris de vaisseaux spatiaux, des régimes totalitaires, des néons aveuglants, des corridors inquiétants ou encore des glaives fluorescents (que Yoda à mon impertinence pardonne).
Si Georges Lucas a inventé la série en 1977, n’allez cependant pas croire que sa démarche était entièrement nouvelle. Dès le Ve siècle de l’ère chrétienne, des lecteurs endurants pouvaient se délecter d’une méga-série épique, les Dionysiaques, composée par un poète gréco-égyptien appelé Nonnos. Les fans pouvaient y découvrir, dans une suite interminable de 48 chants, tous les faits et gestes de Dionysos, ainsi que toutes les histoires liées de près ou de loin à ce dieu. Nonnos écrivait à la manière d’Homère, mais en adoptant par ailleurs un style d’une lourdeur à faire fuir tous les adeptes de Weight Watchers. L’indigestion guette après seulement quelques vers.
Puisqu’il était question de Star Wars, voyons comment Nonnos décrit l’affrontement prodigieux entre Zeus, roi des dieux de l’Olympe, et un Géant monstrueux appelé Typhée – Typhon pour les intimes. Il ne manque que la musique du film en arrière-fond pour que la ressemblance soit frappante. À côté des Dionysiaques, le Retour de la Force est un conte pour jardin d’enfants.
« Zeus, faisant résonner son tonnerre en cinglant les nuées, fait entendre un beuglement céleste, chant de guerre. Il enroule et fixe des nuages sur son poitrail, constituant une protection contre les traits du Géant. Typhée, lui non plus, ne reste pas silencieux : il a des têtes de bœufs qui poussent des mugissements, à la manière de trompettes automatiques lançant leur vacarme contre l’Olympe ; il s’y mêle des sifflements de serpents, semblables à des flûtes d’Arès.
Typhée, pour blinder les couches de ses membres énormes, empile gros roc sur rocher, jusqu’à ce qu’il ait constitué, en couches denses, une muraille indestructible, posant l’un sur l’autre des blocs serrés. Il ressemble à une armée équipée pour le combat. Côte à côte, les pointes rocheuses s’appuient contre les pointes, les crêtes contre les crêtes, les cols contre les cols ; la cime qui frôle les nuages pousse contre la cime aux nombreux vallons. Des collines escarpées servent de casques à Typhée, recouvrant ses têtes d’un promontoire escarpé.
Le Géant combat avec mille cous, un seul corps, mais combien de lignes de batailles ! Elles sont faites de bras, de mâchoires de lions aux pointes acérées, de boucles de cheveux à l’aspect de serpents pour monter à l’assaut des astres.
Typhée brandit à pleines mains des arbres qu’il lance contre le fils de Cronos [Zeus]. Il y a des rejetons au beau feuillage sortis de la terre ; Zeus, d’une onde puissante, les réduit en miettes – non sans regret – d’une seule étincelle de foudre. De nombreux ormes servent de projectiles, ainsi que des pins, espèce proche, et un platane ventru, et les peupliers blancs font office de lances contre Zeus. Le flanc de la terre est déchiré d’une large blessure. »
[voir Nonnos de Panopolis, Dionysiaques 2.364-390]
Certes, il manque les vaisseaux de l’espace, mais les éclairs sont déjà bien présents, le bruit ne fait pas défaut, et le monstre impressionne. Bref, Nonnos maîtrise parfaitement l’enflure épique qui fera le succès de Star Wars. Mon cher Georges Lucas, votre série est un giga-succès planétaire et inter-galactique. Toutefois, si Nonnos avait pu appliquer des effets spéciaux comparables à ceux dont nous disposons aujourd’hui, je parierais ma combinaison spatiale qu’il vous aurait éclipsé.
[image : J.M. Félix Magdalena, Lutte des Géants contre les Dieux olympiens (projet, 1994)]
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J’ai frémi de frayeur à la lecture de ce texte … et ai vu des images d’épouvante. Très réussi.
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Je vais n’avoir que des préjugés aujourd’hui. Ce sont des préjugés, puisque je n’ai pas vu un seul film Star Wars en entier, mais seulement des bribes. Pour moi, il y a trop de bruit, trop de lasers et trop d’images laides dans ces films. Quand à Nonnos, je veux bien essayer un jour de le lire – puisqu’il est du 5ème siècle, cela pourrait n’être pas trop difficile pour moi -, mais en raison du contenu, et comme je dois faire, par manque de temps, une liste d’attente de mes lectures de grec et mettre des priorités, cet auteur est en fin de liste…
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