Des exhibitionnistes danois dévalent en luge les pentes des Alpes : l’armée intervient

447px-Bundesarchiv_Bild_183-89506-0001,_Fichtelbergrennen,_Rodeln,_StartLa pratique de la luge n’est pas une invention récente : dès la fin du IIe siècle av. J.-C., des soldats venus du nord de l’Europe narguaient l’armée romaine en dévalant les pentes des Alpes dans le plus simple appareil.

Bon, j’admets d’emblée avoir un peu forcé sur le titre : chacun des éléments évoqués, pris séparément, sera rigoureusement exact, comme vous pourrez le constater si vous poursuivez la lecture. En revanche, le lien de cause à effet suggéré dans ce titre est un authentique mensonge comme on en trouve tous les jours dans notre presse de boulevards.

De quoi s’agit-il ? Entre 120 et 101, les Romains doivent faire face à une attaque des Cimbres venus du nord : ce sont plusieurs dizaines de milliers de guerriers qui, partis de la région que nous identifions aujourd’hui comme le Danemark, déferlent sur l’Europe. Ils sont arrêtés en 101 par l’armée romaine alors qu’ils ont atteint le nord de l’Italie et pourraient menacer Rome.

Le passage qui retiendra notre attention se trouve chez Plutarque (Ier / IIe s. ap. J.-C.), auteur d’une Vie de Marius. Marius, général romain, a été l’artisan de la victoire romaine sur les Cimbres (et leurs alliés de circonstance, les Teutons). Au moment qui nous intéresse, son collègue Quintus Lutatius Catulus a dû céder devant la poussée des Cimbres dans les Alpes et se retirer sur le versant italien.

Cet épisode plutôt cocasse m’a été signalé par mon collègue Pierre Sánchez, que je remercie pour sa précieuse contribution.

« Catulus, positionné face aux Cimbres, avait renoncé à garder les sommets des Alpes : il voulait éviter d’affaiblir son armée en étant forcé de la scinder en de nombreux détachements. Il descendit donc directement sur l’Italie et se plaça à l’abri du fleuve Atison (l’Adige). Il fortifia solidement sa position en contrôlant des deux côtés le passage du fleuve ; puis il jeta un pont afin de pouvoir assister les postes avancés qui se trouvaient de l’autre côté, dans l’éventualité où les barbares tenteraient de forcer le passage à travers les défilés.

Ces barbares affichaient un tel mépris et une telle audace vis-à-vis de leurs ennemis que, plus pour faire étalage de leur force et de leur courage que par réel besoin, ils s’exposaient tout nus à la neige, traversant la glace et la poudreuse profonde pour atteindre les hauteurs. Depuis les sommets, ils s’asseyaient sur leurs larges boucliers et se lançaient dans des glissades sur des pentes lisses en longeant des gouffres béants.  »

[voir Plutarque, Vie de Marius 23.2-3]

Les envahisseurs venus du nord avaient manifestement l’habitude d’affronter de grands froids; mais de là à dévaler en luge, tout nus, les pentes des Alpes… Cette dernière bravade ne profitera pas aux Cimbres, qui seront finalement vaincus en 101 dans les plaines de l’Italie du nord, à Vercelli.

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[images : départ d’une course de luge en 1962 ; Giovanni Battista Tiepolo (1725-1729), La Bataille de Vercelli]

 

 

2 réflexions sur “Des exhibitionnistes danois dévalent en luge les pentes des Alpes : l’armée intervient

  1. Je suppose qu’il existe pour ce blog des lecteurs, mais qui ne laissent pas de commentaire, peut-être parce que, même s’il s’agit de grec comme le titre l’indique (Pour l’amour du grec/à la découverte d’auteurs grecs anciens), les titres des articles, quand ils sont trop populaires et trop accrocheurs, font courir aux commentateurs et commentatrices le risque de paraître peu sérieux. Et, de fait, si on souhaite commenter des textes grecs sur un plan uniquement scientifique, ce serait une erreur de poster un commentaire ici. Pour ma part, j’ai bien conscience qu’il s’agit ici d’un autre type de lecture et de commentaire.

    Chaque fois que le lien qui amène à un texte grec est actif, je lis le texte en grec avant de poster un commentaire, comme ici pour Plutarque. Avec le passage des semaines, cela fait tout de même une grande série de petits textes grecs que j’ai lus ainsi, en-dehors de toute spécialité. Je trouve ces extraits intéressants, justement pour sortir d’une spécialité et élargir les lectures, en panorama temporel et thématique. De plus, même si notre temps présent est différent de l’antiquité, j’apprécie le lien établi entre le passé et le présent, qui m’apporte quelques informations sur le présent.

    J’aurais aussi une demande. A l’occasion, vous pourriez un jour nous parler d’Esope. D’abord, personnellement, j’aime ces fables et j’ai lu toutes celles d’Esope, du moins les 358 qui sont publiées dans Les Belles Lettres. Pour des francophones, grâce à La Fontaine qui les a relayées avec une grande élégance, les Fables d’Esope permettent aussi de connaître une source importante de la culture. Elles sont aussi plus faciles à lire que La Fontaine: quelques lignes de prose seulement et ainsi bien adaptées à des gens qui voudraient découvrir le grec. En outre, je ne pense pas qu’elles soient réservées aux enfants, auxquels on les destine de nos jours, mais ce sont des critiques de société pour adultes. Alors, merci d’avance!

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  2. Chère Madame,
    Merci pour vos commentaires.
    Je peux d’abord vous rassurer sur un point: vous n’êtes pas la seule lectrice du blog. En 2015, il y a eu 1290 visiteurs qui ont consulté 3749 pages de ce blog; ces visiteurs vivent en Suisse, en France, mais aussi dans 50 autres pays. Il se peut que, comme vous le suggérez, les titres parfois un peu provocateurs fassent hésiter des commentatrices/-teurs potentiels. On ne souhaite pas être associé à un blog qui parle d’exhibitionnistes danois… Et pourtant, il faut savoir aller au-delà des apparences: la littérature grecque fourmille de passages qui trouvent des échos directs dans notre vie actuelle.
    En ce qui concerne Ésope, message reçu. À bientôt, donc.

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