Le club de football de Leicester obtient une victoires inespérée grâce aux prières d’un moine bouddhiste. Si l’on en juge par l’ancienneté du procédé, ça doit marcher.
Le club de football de Leicester étonne ses fans pour au moins deux raisons. Tout d’abord, cette équipe à la réputation plutôt modeste s’est hissée vers les sommets du classement, ce qui ne peut que nous réjouir : on adore toujours la victoire d’un David contre Goliath. Mais la surprise vient surtout du fait que ce club a obtenu une aide insolite grâce aux prières fournies par un moine bouddhiste, qui a prié de 2h à 4h du matin.
L’équipe appartient en effet à un richissime homme d’affaires thaïlandais. Celui-ci n’a pas hésité à revendiquer pour les joueurs britanniques la protection des puissances extrême-orientales.
On peut évidemment douter du rapport de cause à effet entre ces prières offertes et les victoires obtenues en retour. Quoi qu’on en pense, ce modèle explicatif un peu sommaire fascine les foules et met en relief une équipe qui n’aurait, autrement, que peu d’atouts à faire valoir. Nuls en sciences, les footballeurs de Leicester sont en revanche des as de la communication.
Le procédé consistant à demander la protection des dieux pour remporter une victoire remonte à des temps immémoriaux. On pourrait affirmer que le plus vieux métier du monde, ce n’est pas celui que vous croyez, mais bien celui de prêtre. Et si les prêtres sont des professionnels de la prière, les particuliers ont aussi su profiter de certains arrangements avec les dieux, selon le principe bien établi : do ut des, ‘je donne pour que tu donnes’. Autrement dit, l’homme fait une offrande, et il attend une faveur de la divinité en retour. Il peut s’agir d’une offrande matérielle, ou plus simplement d’une supplication.
Dans la plaine de Troie, où les Grecs et les Troyens ont passé neuf ans à s’entretuer, le procédé était assez commun, comme en témoigne Homère dans l’Iliade. À titre d’exemple concret, voici la prière que Diomède, l’un des meilleurs soldats grecs, adresse à Athéna pour qu’elle lui donne un petit coup de main dans une situation difficile :
« C’est alors que le brave Diomède éleva la voix :
‘Écoute-moi, Atrytone [Athéna], fille de Zeus qui porte l’égide : dans le passé tu as prêté de bon cœur ton secours à moi et à mon père lorsque nous combattions ; maintenant à nouveau, Athéna, sois-moi favorable. Accorde-moi de battre mon adversaire et de le faire venir dans la trajectoire de ma lance. C’est lui qui a commencé par m’en lancer une, et il s’en vante ! En plus, il prétend que je ne verrai plus longtemps la lumière brillante du soleil.’
Sur ces mots de Diomède, Pallas Athéna l’entendit : elle rendit ses membres agiles, aussi bien ses pieds que ses mains au-dessus. Elle se tint près de lui et lui adressa ces paroles ailées :
‘Sois confiant maintenant, Diomède, pour combattre les Troyens : car j’ai insufflé dans ta poitrine l’ardeur intrépide de ton père Tydée, un écuyer qui savait tenir son bouclier ! Le voile qui recouvrait ta vue auparavant, je l’ai retiré, pour que tu distingues bien un dieu d’un homme. Maintenant donc, si un dieu s’approche pour te mettre à l’épreuve, ne va pas t’opposer à lui, quel qu’il soit. Ce n’est que si Aphrodite, la fille de Zeus, s’engage dans le combat qu’il te faut la blesser de la pointe de ton arme d’airain.’ »
[voir Homère, Iliade 5.114-132]
Quand je vous disais que ça marche… Diomède a adressé sa supplication à Athéna, elle lui a répondu favorablement, et – fait exceptionnel – elle lui a même donné le feu vert pour égratigner la peau de la belle Aphrodite. Si les prières de Diomède ont eu un tel effet, pourquoi un moine bouddhiste ne pourrait-il pas obtenir la victoire d’une équipe de foot britannique ?
[image : l’enthousiasme des moines bouddhistes thaïlandais pour le football ne connaît aucune limite d’âge]
Tout en n’étant rien moins que théologienne, je hasarde un petit commentaire. En Occident, la prière est dévalorisée, parce qu’on pense surtout à des prières de demandes, bien légitimes d’ailleurs: « Mon Dieu, fais que je réussisse mon examen; fais que mon petit ami me soit fidèle; fais que ma mère guérisse de son cancer; fais que la guerre s’arrête rapidement etc. ». Or, Dieu ne répond pas et il ne réalise pas nos voeux. Alors, on abandonne la prière comme étant inutile et inefficace. Bouddha est-il donc plus accessible à nos prières?
En fait, il existe aussi d’autres prières que les demandes, comme les prières d’action de grâce (c’est-à-dire de remerciement et de reconnaissance). C’est tout autre chose que de réclamer et cela permet de prendre conscience de ce que l’on a déjà. Ensuite, au lieu de prier pour obtenir soi-même quelque chose, il existe les prières pour autrui. Ainsi, ce prêtre bouddhiste a prié pour les autres et non pas pour lui-même, ce qui est plus généreux. Si l’on veut des explications rationnelles, il se peut que le club de foot en question se soit senti porté sur un plan psychologique, ce qui lui a donné des ailes le menant à la victoire. Par la prière, l’être humain reconnaît qu’il n’est pas tout puissant lui-même; il se reconnaît au contraire petit, mais il sort de sa petitesse pour entrer dans une conscience plus large. Cela peut être un appui pour vivre.
Je citerai encore une fois Esope, dans la fable 53, intitulée « Le naufragé ». Le bateau a coulé, les passagers s’efforcent de nager, sauf un Athénien qui fait des prières à Athéna pour qu’elle le sauve: « Sauve-moi, Athéna, et je te ferai des quantités d’offrandes ». Un des nageurs lui dit alors: « Avec Athéna, allez, bouge tes bras toi-même! ». Cette fable ne nie pas qu’Athéna existe, mais elle ne dit pas non plus que c’est Athéna qui doit tout faire pour aider une personne en danger. La fable insiste au contraire sur le fait que la personne doit « se bouger ».
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