Michelle Obama décroche le premier prix de la coolitude pour l’élégance avec laquelle elle soutient l’ancienne adversaire de son mari. Aussi cool que Pénélope.
Bravo, Madame Obama ! L’épouse du président des États-Unis ne se contente pas d’ignorer avec panache le maladroit plagiat commis par l’épouse de Donald Trump : elle apporte aussi un soutien vibrant et bienvenu à Hillary Clinton. Au passage, Michelle Obama confirme son statut de personne la plus cool du pays, tout en diffusant un message admirable de dignité. À qui la comparer ? À Pénélope, pardi !
Pénélope, l’épouse du héros Ulysse, n’est pas seulement un symbole de fidélité. Certes, elle résiste aux avances de ses prétendants pendant une bonne vingtaine d’années, mais surtout elle le fait avec classe et finesse. On se souvient de la promesse qu’elle a faite à ses prétendants pour les faire patienter : lorsqu’elle aura achevé l’ouvrage qu’elle est en train de tisser, elle acceptera d’épouser l’un des hommes qui dévorent les biens du palais d’Ulysse ; mais pendant la nuit, elle défait le travail accompli de jour. Cette ruse dure un bon moment, jusqu’à ce que l’un des prétendants découvre la supercherie et la contraigne à terminer l’ouvrage.
Le temps presse désormais, les prétendants se font plus insistants, ils deviennent carrément insolents et ils songent à se débarrasser de Télémaque, fils d’Ulysse et de Pénélope. Cette dernière fait alors preuve d’un courage remarquable, affrontant les prétendants et les tançant vertement. C’est le vil Antinoos qui se fait moucher :
« L’intelligente Pénélope à son tour conçut un plan : elle allait se montrer aux prétendants puisqu’ils étaient si arrogants. Elle avaient en effet appris que, dans le manoir, on s’apprêtait à éliminer son fils. C’était ce que lui avait rapporté le héraut Médon, lequel avait eu vent du projet.
Pénélope se rendit donc dans la grande salle, accompagnée de ses suivantes. Divine parmi les femmes, elle se présenta devant les prétendants et s’appuya contre un montant du mur solide, non sans avoir ajusté sur ses joues un voile splendide.
Elle s’adressa à Antinoos en l’apostrophant :
‘Antinoos, homme arrogant et perfide, on raconte que, parmi le peuple d’Ithaque, tu l’emportes sur tes compagnons par la sagesse et la parole. Or tu ne répondais pas à cette description… Imbécile ! Comment, toi, peux-tu ourdir la mort et le trépas de Télémaque ? Tu ne respectes donc pas le droit des suppliants, dont Zeus est pourtant le garant. C’est un sacrilège que de tramer le mal contre les autres.
Ne sais-tu donc pas que ton père est arrivé ici en fugitif ? Il avait peur du peuple, qui était très irrité : car il s’était rangé du côté de pirates de Taphos pour accabler les habitants de la Thesprotie, alors que ceux-ci étaient nos alliés ! Ils voulaient le tuer, lui arracher le cœur et dévorer ses ressources, dont l’abondance surpassait tous les désirs.
Or Ulysse l’a sauvé, et il a retenu le peuple, qui était pourtant fâché. Et maintenant, voici que tu dévores sa maison, sans rien payer ! Tu courtises son épouse, tu cherches à tuer son fils et tu me causes beaucoup de peine. Allons ! Je t’enjoins de cesser et de dire aux autres de faire de même !’ »
[voir Homère, Odyssée 16.409-433]
Il faut un sacré cran pour tenir tête à ces prétendants ; or Pénélope ne se gêne pas pour rappeler à Antinoos d’où il vient : son père ne doit sa vie qu’à la générosité d’Ulysse. De même, il faut du cran pour rappeler à tous les Américains que la Maison Blanche où réside Michelle Obama, descendante d’esclaves, a été construite par des esclaves… Encore bravo, Madame Obama ! Pénélope n’aurait pas mieux fait.
[image: Michelle Obama]
Si Plutarque, dans ses Vies parallèles des hommes illustres, comparait un Grec et un Romain, ce qui peut paraître un choix arbitraire, pourquoi ne pas comparer des femmes aussi, et donc Pénélope et Mme Obama? C’est également original. Je me concentrerai plutôt sur Pénélope, que je connais depuis plus longtemps et mieux que Michelle Obama, que seuls la télévision et quelques articles de journaux m’ont montrée, mais dont je ne sais pas grand-chose.
Il se peut que Pénélope ne soit pas trop dans l’esprit de notre temps, pour les raisons suivantes. Puisque qu’Ulysse est parti depuis longtemps, qu’il a vécu avec Circé, certains conseilleraient à Pénélope, au nom de l’égalité entre homme et femme, de ne plus attendre en travaillant jour et nuit pour rien. Mais on lui dirait plutôt de jeter son bonnet par-dessus les moulins, de prendre le moins pire des prétendants, de refaire sa vie et de s’épanouir au lieu de se consumer dans une patience sacrificielle.
C’est que certains pensent que Pénélope conserve sa fidélité à Ulysse en suivant une sorte d’impératif catégorique à la façon de Kant. Un « impératif catégorique », sauf erreur d’interprétation de cette philosophie difficile, est une règle morale de haut niveau, qui impose un devoir à la personne. Dans ce cas, Pénélope s’imposerait d’attendre Ulysse suivant l’idée que, si elle est dans un couple, son devoir est d’être fidèle: ce qui, au fond, est une attitude raide, moralisante, obligatoire et, finalement, trop difficile.
Or, je ne crois pas vraiment que Pénélope s’impose un de ces impératifs catégoriques plus ou moins universels. En fait, si elle fait tout pour attendre, c’est parce qu’elle a d’excellents souvenirs d’Ulysse et que l’affectivité est en jeu, pas le devoir. Il n’est pas difficile d’être fidèle quand les souvenirs sont bons. Pénélope espère que les plaisirs reviendront avec Ulysse et c’est d’ailleurs ce qui se produira à la fin de l’Odyssée. De plus, les hommes qui l’entourent, les prétendants, ne sont pas attirants. Ils sont, au contraire, tous décevants. Pénélope voit très bien qu’ils ne s’intéressent pas à sa personne, mais au pouvoir et à la richesse que le mariage avec elle représenterait. Ils font aussi pression sur elle, ce qui est une mauvaise base pour un nouveau mariage.
On conçoit que, dans ces conditions, Pénélope est plus libre en ne se remariant pas qu’en se remariant. Certes, son royaume n’est pas bien géré, mais avec les prétendants, au vu de leur attitude, il ne le sera pas mieux. Au contraire, elle perdra, avec un mari qu’elle n’aime pas, sa relative indépendance et elle devra supporter la promiscuité. Dans ces conditions, la fidélité est beaucoup plus avantageuse et Pénélope a tout à gagner et n’a rien à perdre en continuant à attendre Ulysse. De plus, cela montre une femme qui veut un couple avec un homme qu’elle aime et pas n’importe quelle sexualité avec un homme qu’elle n’aime pas.
Ce doit être pour cela que le prénom de Pénélope est encore donné assez fréquemment à des enfants.
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