Trump, 1er épisode : hommage à la mère d’un soldat tombé au combat

trump1En attaquant la mère d’un soldat américain tombé au service de son pays, Donald Trump semble ignorer le poids que portent les mères dans les conflits armés. Retour sur les mères spartiates, particulièrement dévouées à leur patrie.

Donald Trump enchaîne joyeusement les gaffes et les énormités, mais il parvient encore à nous surprendre. Dommage que ce ne soit pas toujours drôle… Récemment, il s’en est pris à la mère d’un soldat américain tombé en Irak : debout en silence à côté de son mari lors de la convention démocrate, elle n’aurait rien eu à dire, ‘peut-être qu’elle n’était pas autorisée à dire quoi que ce soit.’

Ne soyons pas naïfs : la famille Khan a vraisemblablement été instrumentalisée aussi bien par les démocrates que par les républicains américains ; de plus, personne ne demande ici d’approuver l’action militaire américaine en Irak. Cependant, lorsqu’un candidat à l’investiture présidentielle déclare avoir travaillé dur et consenti de gros sacrifices, le malaise est palpable : peut-il seulement comprendre ce que représente le sacrifice d’une mère qui perd son fils dans une guerre ? face au silence et à la douleur de cette mère, n’a-t-il pas manqué une belle occasion de se taire ?

De tous temps, les mères ont essuyé les dégâts collatéraux des guerres. À la chute de Troie, la vieille Hécube exprime sa douleur face à la folie guerrière des hommes. Euripide en témoigne dans deux tragédies poignantes, Hécube et Les Troyennes. La seconde a d’ailleurs fait l’objet d’une reprise par Jean-Paul Sartre, qui suscite encore beaucoup d’intérêt aujourd’hui. Mais ce sont sans aucun doute les mères spartiates qui éveillaient, parmi les Grecs, la plus grande admiration pour les sacrifices qu’elles étaient prêtes à consentir.

Plutarque est une source presque intarissable d’anecdotes sur le dévouement des mères spartiates. Il les a rassemblées dans ses Apophtegmes de femmes spartiates. Pour ceux qui trouvent le mot ‘apophtegme’ trop compliqué, remplacez par ‘déclarations’. Voici donc une déclaration attribuée à une mère qui faisait ses adieux à son fils avant qu’il ne parte au combat :

« [Une mère] remit en outre à son fils son bouclier et l’encouragea en disant : ‘Mon fils, (reviens) soit avec ton bouclier, soit dessus.’ »

[voir Plutarque, Apophtegmes de femmes spartiates 241f]

Le bouclier aurait donc pu servir de brancard pour rapporter le corps d’un soldat ; mais il était exclu que le fils revienne sans son bouclier, ce qui aurait signifié une fuite honteuse.

Si l’on en croit Plutarque, les mères spartiates ne se contentaient pas de subir le sacrifice ultime : au besoin, elles auraient été prêtes à l’accomplir de leurs propres mains pour sauver l’honneur de la famille et de la patrie.

« [Une mère] laconienne [de Sparte] mit à mort son fils parce qu’il avait abandonné son poste et s’était ainsi rendu indigne de la patrie. Elle dit : ‘Ce rejeton n’est pas de moi.’

On cite d’ailleurs cette épigramme :

Damatrios avait enfreint les lois et sa mère le mit à mort, elle une Lacédémonienne, lui un Lacédémonien. Brandissant une épée devant elle, et grinçant des dents, elle prononça des mots typiques d’une femme laconienne : ‘Mauvais rejeton, file à l’ombre, et que [le fleuve] Eurotas, par haine de toi, n’y coule pas, même pour les biches farouches. Avorton inutile, mauvaise portion, va-t-en dans l’Hadès, va-t-en ! Ce qui n’est pas digne de Sparte, je ne l’ai pas non plus mis au monde.’ »

[voir Plutarque, Apophtegmes de femmes spartiates 241a, combiné avec l’Anthologie Palatine 7.433]

Si les Grecs ont fait circuler ces anecdotes sur les mères spartiates, c’est précisément parce que de tels comportements étaient considérés comme extrêmes. Pour les autres Grecs, l’horreur de la guerre résidait dans le déchirement que devaient ressentir les mères, à la fois désireuses de contribuer à la défense de leur cité et anéanties par la perte d’un fils qu’elles avaient porté dans leurs entrailles. Mais ce dernier sentiment, ni Donald Trump ni aucun autre homme ne pourra entièrement le saisir.

En fin de compte, faut-il simplement se résigner à considérer Trump comme un fou ? Rendez-vous dans une semaine, avec un second épisode sur la trumpitude.

[image : Donald Trump]

2 réflexions sur “Trump, 1er épisode : hommage à la mère d’un soldat tombé au combat

  1. Merci de nous avoir dirigés vers ces Apophtegmes ou déclarations de femmes spartiates, car, même sans traduction, elles ne sont pas très difficiles à lire et elles sont intéressantes: or, il est important de montrer de nos jours qu’il n’existe pas que du grec difficile à lire…En raison d’exercices scolaires peut-être trop longtemps répétés, certains s’imaginent, en effet, que le grec (le latin également) ne peut être que traduit, ce qui va lentement; il faudrait donc aussi montrer que la lecture sans traduction – après apprentissage bien sûr – peut tout à fait avoir lieu. Lecture et traduction sont deux activités intellectuelles de nature différente.

    Ces femmes spartiates, selon Plutarque, veulent toujours surmonter l’adversité, quitte à faire de gros sacrifices. Parfois, elles paraissent admirables, mais parfois aussi elles paraissent seulement étranges dans leurs choix. Les femmes, normalement, détestent que leurs fils meurent à la guerre. En effet, de nombreux mois de grossesse comportant souvent quelques difficultés, puis des accouchements pas vraiment toujours faciles, puis des mois et des années d’éducation de nourrissons et de tout-petits produisent un attachement fort, mais représentent aussi des milliers d’heures de travail. Or, la guerre « bousille » tout ceci en un rien de temps et représente un mépris total pour le travail fourni par les femmes.

    Mais ces femmes spartiates mettent l’intérêt de la patrie au-dessus de l’intérêt privé et affectif. Or, nous n’avons pas tout à fait la même position. C’est certainement, entre autres, que la guerre moderne n’est pas la même que dans l’Antiquité. Dans l’Antiquité, il y avait davantage de corps-à-corps avec un adversaire plus individuel et de petits groupes d’ennemis. C’est pourquoi déserter était plus honteux autrefois. La guerre moderne, avec la technique des bombes, de la chimie, voire de la guerre atomique, est très différente: elle est anonyme et le soldat ne sait même pas qui il tue: il est envoyé par son pays, mais personnellement, il se serait peut-être très bien entendu avec ceux que le pays lui désigne comme ennemis; il n’a aucune chance; il n’y a aucune confrontation de forces personnelles avec celles d’un ennemi. C’est pourquoi beaucoup de jeunes hommes refusent de se former à la guerre moderne et veulent effectuer un service civil.

    Il serait certainement dangereux d’être toujours pacifiste et de ne compter que sur les voies diplomatiques pour les conflits. En effet, il peut surgir des ennemis qui menacent profondément nos valeurs et lorsque le danger de perdre nos valeurs est réel, nous devons nous défendre. Mais avant cela, il faut tout faire pour apprendre la négociation – ce qui est très difficile.

    Il me semble que peu de femmes actuelles seraient prêtes à partager le mode de pensée des femmes spartiates concernant la mort de leur fils à la guerre. D’autre part, les femmes modernes peuvent elles aussi participer activement à la guerre telle qu’elle est devenue, si besoin est. Mais personne ne le souhaite.

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  2. Pingback: Trump : un adynaton | pour l'amour du grec

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