Autrefois, le Soleil a dénoncé un cas d’infidélité conjugale ; aujourd’hui, il est remplacé par le Big Data.
Il est passé, le temps où vous pouviez rêver d’une petite aventure extra-conjugale menée dans la discrétion. Nos vies privées sont devenues quasiment transparentes par l’effet des quantités de données phénoménales que des serveurs stockent sur chaque individu. En parallèle, des personnes mal intentionnées disposent d’un accès à des sites où vous préféreriez que l’on ne vous découvre pas : les clients d’Ashley Madison, une compagnie spécialisée dans les rencontres extra-conjugales, en ont fait l’amère expérience lorsque leur identité a commencé à filtrer. Ce jour-là, il y a probablement eu beaucoup d’assiettes cassées dans les chaumières…
Chère lectrice, cher lecteur, à défaut de vous offrir un coin sûr pour vos galipettes prohibées, à l’abri du regard des ordinateurs et des caméras, permettez-moi au moins de vous consoler : la surveillance omniprésente ne date en fait pas d’hier, elle remonte aux temps les plus anciens.
C’était le temps où le Soleil… Mais laissons plutôt l’immortel Homère nous faire le récit :
« Or le chanteur [Démodocos] allait entamer un beau chant, accompagné de sa lyre : il allait raconter les amours entre Arès et Aphrodite à la belle couronne, et chanter comment pour la première fois ils s’étaient unis en secret, dans la maison d’Héphaïstos. Arès avait comblé Aphrodite de présents, elle avait couvert de honte le lit du puissant Héphaïstos. Mais le Soleil alla tout raconter à Héphaïstos : il les avait vus en train de faire l’amour.
Héphaïstos écouta ce pénible récit, puis il se rendit à sa forge en méditant de sombres pensées. Là, il fixa une grosse enclume sur sa base, et il forgea des liens dont il est impossible de se défaire, pour y coincer les amants. Après qu’il eut fabriqué son piège, Héphaïstos, toujours fâché, se rendit dans la chambre à coucher où se trouvait son lit.
Autour des montants, il disposa les liens tout autour ; et d’autres pendaient en quantité depuis le plafond. On aurait dit un mince fil d’une toile d’araignée : personne n’aurait pu le distinguer, pas même l’un des dieux bienheureux, tellement le piège était bien conçu.
Or donc, une fois qu’il eut disposé tout cet attirail autour du lit, il partit pour [l’île de] Lemnos, forteresse bien bâtie, son endroit préféré. Quant à Arès aux rênes d’or, ce départ ne lui échappa pas : dès qu’il eut vu Héphaïstos, l’habile artisan, s’éloigner de chez lui, il se rendit à la demeure du dit Héphaïstos, fameux à la ronde, parce qu’il avait bien envie de faire l’amour avec la déesse de Cythère.
Aphrodite venait de quitter son père, [Zeus] le puissant fils de Cronos ; elle était rentrée, et elle se tenait assise. Arès entra dans la maison, lui caressa la main et lui tint le discours suivant : ‘Viens, ma chérie, filons au lit : car Héphaïstos n’est plus là ; je crois bien qu’il est allé à Lemnos trouver le peuple des Sintiens à la langue barbare.’
C’est ainsi qu’il parla à Aphrodite, qui sentit monter le désir de coucher avec lui. Ils passèrent donc au lit et s’y étendirent. Mais voilà que les liens que ce malin d’Héphaïstos avait fabriqués leur tombèrent dessus, et ils ne purent ni bouger ni lever un membre. Ils comprirent alors qu’ils ne pourraient s’échapper. »
[voir Homère, Odyssée 8.266-299]
Je vous passe une partie de l’histoire : Héphaïstos, prévenu par ce mouchard de Soleil, revient chez lui et fait un véritable scandale. Il convoque tous les dieux et les déesses. Les jeunes rigolent bien, en particulier les deux frères, Apollon et Hermès.
Apollon : « Messager Hermès, fils de Zeus, dispensateurs de biens au regard perçant, ça ne te ferait pas plaisir, de te trouver coincé par des liens puissants, couché dans un lit avec Aphrodite la dorée ? »
Hermès : « Oh oui ! J’aimerais bien, seigneur Apollon lanceur de flèches ! Je voudrais être ligoté à triple tour par des liens interminables, et je vous permettrais de me regarder, tous les dieux et les déesses, pour autant que je couche dans un lit avec Aphrodite la dorée ! »
[voir Homère, Odyssée 8.335-342]
Tous s’esclaffent ; mais l’un des dieux ne rit pas : c’est Poséidon, l’oncle d’Aphrodite, qui tente d’arranger les choses avant que Zeus ne perde la face en apprenant les frasques de sa fille. Après un court marchandage, on règle l’affaire et les deux amants filent vite se cacher très loin, chacun dans un endroit différent. S’ils avaient eu un compte Facebook, ils l’auraient fermé pour au moins trois jours.
Que retenir de cette histoire ? Si l’infidélité conjugale passe pour l’une des activités les plus anciennes de l’humanité, force est de constater qu’elle s’accompagne, dès les origines, d’une solide dose de surveillance : rien n’échappe au Soleil, et c’est un vilain mouchard. Aujourd’hui, le Soleil a cédé sa place aux caméras, au Big Data et à divers logiciels chargés de surveiller nos moindres hoquets. Nous ne sommes pas plus libres qu’Arès et Aphrodite ; ça va encore grincer dans les chaumières.
[image : Johann Heiss, Héphaïstos surprenant Arès et Aphrodite (1679)]
Avec l’histoire d’Aphrodite et Arès, on est loin de l’histoire de la Vierge Marie et de son enfant, dont on fête demain l’anniversaire de la naissance…
La ville d’Aphrodite, Paphos, qui se trouve à Chypre, a été nommée « capitale européenne de la culture 2017 ». Les préparatifs à Paphos, vont donc bon train pour faire honneur à Aphrodite, pour rénover la ville et apporter ainsi tourisme et prospérité, mais aussi culture et beauté à ce coin d’île.
D’autre part, notre quotidien est encore plus marqué par l’histoire chrétienne. En effet, si l’on considère ne serait-ce que les jours fériés ou les vacances dans notre année civile, on verra qu’ils sont totalement liés à la vie de Jésus: d’abord le seul nom de notre année « 2016 » est compté à partir de sa naissance. Puis les jours fériés de Noël, de Pâques, de l’Ascension, de Pentecôte et quelques autres encore dans les contrées catholiques (Immaculée Conception le 8 décembre, Fête-Dieu en juin) disent tous quelque chose de la vie du Christ.
Pourquoi est-ce que j’écris ceci? Evidemment, parce que c’est demain Noël et que je vous le souhaite joyeux. Mais aussi parce que les textes qui racontent la vie de Jésus sont écrits en grec, dans le Nouveau Testament. Or, il s’agit d’un grec assez facile à lire, avec des phrases courtes, malgré quelques expressions plus originales en hébreu. Il vaudrait donc la peine, si l’on veut découvrir le grec, de lire aussi quelques pages de l’Evangile. On pourrait ainsi comprendre notre organisation sociale – travail, vacances, fêtes – autour de ces jours fériés, en connaissant leur origine et leur sens. Dommage que les Hodoi Elektronikai, sauf erreur, ne proposent pas ces textes qui sont basiques pour notre culture.
J’aimeJ’aime