Pénélope : son emploi n’était pas fictif

Inc B-720Non sans ironie, on compare Pénélope Fillon à la Pénélope de l’Odyssée, qui défaisait la nuit le travail réalisé dans la journée. Une comparaison flatteuse si l’on considère le fait que la figure mythologique n’avait pas un emploi fictif. Et en plus, elle a sauvé la maison de son époux.

Grâce aux révélations du Canard Enchaîné, la presse française – et celle d’autres pays – dispose d’un filon en or (excusez le jeu de mots) : l’épouse de François Fillon, candidat à la présidentielle, aurait été payée par le contribuable pour un travail qu’elle n’aurait jamais accompli. Et comme ladite épouse porte le beau prénom de Pénélope, de petits malins ironisent sur le parallèle avec la première Pénélope, l’épouse d’Ulysse, qui passait ses nuits à défaire l’ouvrage qu’elle avait tissé pendant la journée.

Ces taquins savent-ils seulement que l’épouse d’Ulysse exerçait un emploi tout sauf fictif ? Car non seulement elle a bel et bien achevé son ouvrage (si, si ! lisez donc la suite), mais en plus elle a sauvé la maison de son époux. Sans l’intelligence de Pénélope, Ulysse aurait probablement été éliminé par ceux qui convoitaient la main de cette femme extraordinaire. Madame Fillon, de grâce ne rejetez pas la comparaison : car elle est flatteuse.

Rappel des faits : Ulysse est parti guerroyer sous les murs de Troie, laissant derrière lui son épouse pour garder le manoir familial, et surtout pour élever le petit Télémaque. Ce dernier a donc connu l’enfance de ces familles devenues monoparentales de fait, parce que Monsieur a dû prendre un emploi à l’étranger.

Dans de telles situations, l’homme qui s’absente promet toujours que cela ne durera pas : il rentrera vite dès que la situation le permettra. Or dans le cas d’Ulysse, la citadelle de Troie ne tombe qu’à la dixième année de guerre ; et pour ne pas arranger les choses, notre héros prend encore une dizaine d’années pour retrouver son foyer.

Lorsqu’Ulysse atteint enfin l’île d’Ithaque, son fils est un jeune adulte avec du poil au menton, et son épouse se fait assaillir par des hommes désireux de l’épouser. Ils ne visent vraisemblablement pas la quadragénaire un peu défraîchie, mais plutôt sa maison et le domaine qui l’entoure. Toutefois Pénélope, fidèle à son Ulysse, ne veut pas céder.

Finalement, arrivée à court d’expédients, sans nouvelles de son mari, elle va devoir se résigner à l’impensable : oublier Ulysse et prendre un nouvel époux. Écoutons-la exposer la situation à un vieux mendiant venu d’ailleurs (en fait, c’est Ulysse déguisé en mendiant, mais elle ne l’a pas encore reconnu) :

« Étranger, auparavant j’étais appréciée pour ma beauté et mon apparence ; mais les dieux immortels ont tout gâché tandis que les Argiens se rendaient à Ilion. Mon époux Ulysse les accompagnait. Cependant, s’il revenait pour prendre soin de mon existence, ma réputation s’en trouverait grandie et embellie. Mais maintenant, je me désole : voilà tout le sort que m’a octroyé une divinité malfaisante.

Il y a tous ces gens de bonne famille qui commandent sur les îles : Doulichion, Samé et Zakynthos la boisée, et aussi ceux qui résident sur Ithaque visible de loin. Ils me courtisent contre mon gré et ils dévorent ma maisonnée. C’est pourquoi je ne me soucie plus ni des étrangers, ni des suppliants, ni des hérauts qui assurent le contact avec le peuple. Non, mon cœur se consume à désirer le retour d’Ulysse.

Mais eux, ils me pressent de prendre un époux ; et moi, j’en suis réduite à tramer des ruses. D’abord, un dieu m’a donné l’idée de monter un grand métier à tisser dans ma chambre, et d’y tisser un voile à la fois léger et de grandes dimensions. Puis je leur ai dit : ‘Jeunes gens, vous me courtisez, Ulysse est mort. Vous voulez m’épouser ? Attendez jusqu’à ce que j’aie terminé ce voile. Il ne faut pas gaspiller tout ce fil : cela fera un linceul pour le héros Laërte [le père d’Ulysse], lorsque le sort funeste d’une triste mort l’aura saisi. Il ne faudrait pas qu’une femme achéenne aille répandre parmi le peuple de mauvaises rumeurs, si un homme qui a acquis tant de biens se trouvait sans rien pour l’envelopper !’

Voilà ce que je leur dis, et je parvins à fléchir leur cœur obstiné. Alors, pendant la journée, je tissais sur le grand métier, et la nuit je défaisais le travail à la lueur des torches. C’est ainsi que, pendant trois ans, j’ai trompé les Achéens et les ai persuadés d’attendre. Mais quand, au détour des saisons, vint la quatrième année, avec la complicité de mes servantes – ces chiennes ne respectent rien ! – ils sont entrés dans ma chambre, m’ont prise sur le fait et m’ont accablée de reproches.

C’est ainsi que j’ai achevé mon ouvrage à contrecœur, sous la contrainte. Désormais, je ne peux pas échapper au mariage et je ne trouve plus d’autre subterfuge. Mes parents me mettent sous forte pression de me trouver un mari, et mon fils se désespère parce que mes prétendants dévorent notre bien. Il se rend compte de la situation : car c’est déjà un homme, il est tout à fait capable de gérer la maison, et Zeus lui accorde sa part de prospérité. »

[voir Homère Odyssée 19.124-161]

Qu’on se rassure : Ulysse, arrivé au dernier moment, parviendra à sauver son mariage menacé, à punir les prétendants de Pénélope et à récupérer son manoir. Mais c’est de Pénélope que nous devrions nous préoccuper. Pendant une vingtaine d’années, elle a tenu la maison, repoussé des prétendants rapaces, contrôlé tant bien que mal des servantes traîtresses ; et pendant trois ans, elle a fait et défait son ouvrage sur le métier, pour finalement l’achever. Pénélope, un emploi fictif ? Certainement pas ; sans elle, Ulysse ne serait plus rien. Tous les François Fillon du monde – et leurs détracteurs – devraient s’en souvenir.

[image : gravure sur bois, Le retour d’Ulysse chez Pénélope, repris d’un imprimé d’env. 1474]

4 réflexions sur “Pénélope : son emploi n’était pas fictif

  1. Cher Paul,

    Chacune de tes chroniques est un régal que je déguste. Je ne souhaite qu’une chose : continuer à les recevoir sur ma nouvelle adresse électronique dont je te prie de prendre note : (au lieu de …net2000.ch ).

    Bien amicalement. André Schneider

    >

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  2. Mon cher André,
    Merci pour ton message amical; cela fait plaisir, évidemment.
    Pour toi comme pour les autres lectrices & lecteurs de ce blog: je n’ai pas de contrôle direct sur la liste de distribution. Si tu veux qu’un message d’alerte soit distribué à ta nouvelle adresse, je te suggère de te brancher à nouveau sur le blog et de t’abonner une seconde fois, avec la nouvelle adresse.
    Amicalement,
    Paul

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  3. Ces scandales parmi les candidats à la Présidence de la République française font perdre confiance en la politique et vont probablement augmenter les pourcentages favorables à Mme Le Pen. Pour le premier tour des élections, il ne sera quand même pas trop difficile aux Français de choisir, étant donné le large éventail traditionnel de candidats, mais le second tour risque d’être un casse-tête.

    Dans l’article « Michelle Obama, aussi cool que Pénélope » (28/07/2016), le personnage de Pénélope a été évoqué une première fois, mais il mérite bien un deuxième article. Certains pensent peut-être que Pénélope – d’Homère! – avait un genre d’ « emploi fictif » parce que, pendant trois ans, son travail ne donnait rien: la toile n’avançait pas. Le résultat n’était pas là. On aurait dit que rien n’était fait.

    Mais en fait, au lieu de se reposer la nuit, Pénélope travaillait à la lueur des torches, ce qui est fatigant. Et puis, il est dur de défaire un tissage. Ce n’est pas comme un tricotage, pour lequel on tire un bout du travail et tout se défait rapidement. Pour le tissage, il faut forcément repasser la navette à l’envers. Dessus dessous, millimètre par millimètre: c’est un autre « travail de Sysiphe », qui demande moins de force, mais qui est tout aussi long et qui n’est ni productif ni gratifiant. De plus, défaire son propre travail n’est pas vraiment motivant, surtout pour le recommencer le lendemain, en sachant qu’on va le redéfaire la nuit d’après. Et quand cela se répète trois ans, c’est même une corvée.

    Mais cet épisode montre les qualités de Pénélope, outre la célèbre « fidélité »:
    – elle est patiente, minutieuse
    – elle sait attendre longtemps
    – elle sait ce qu’elle veut
    – elle supporte l’adversité
    – elle reste le plus indépendante possible des prétendants
    – elle n’est pas étourdie et réserve sa pensée pour elle-même quand il serait trop dangereux de l’exprimer.

    Pour ses autres travaux que la toile tissée-détissée, on pourrait dire que Pénélope est une « femme au foyer », même si ce foyer est un manoir. L’humanité passe facilement d’une extrémité à l’autre: alors que cette destinée de femme au foyer était, paraît-il, obligatoire autrefois pour les femmes, elle est de nos jours très décriée. La critique est parfois même excessive et ne tient pas compte du fait que certaines femmes peuvent être heureuses à la maison et en famille où il y a bien des choses à faire.

    Simplement, à une jeune fille, je conseillerais quand même de préparer un métier. En effet, les couples dans notre société sont fragiles, puisque la moitié divorcent. Or, si une jeune femme a un métier, elle pourra faire éventuellement le choix de faire une pause. Mais si elle n’a pas de formation et n’envisage que le couple et les enfants pour sa vie, cela risque d’être très difficile pour elle en cas de problèmes de ce couple.

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