Trouver une idée géniale en plein sommeil, nous en rêvons tous. Les dieux de la Grèce nous aident pour cela.
Vous êtes confortablement installé(e) sous votre chaud duvet, vous dormez, vous rêvez et soudain … une idée brillante vous vient à l’esprit. Ça y est ! C’est la solution au problème qui vous taraudait depuis des jours !
Des scientifiques de tous bords rapportent avoir fait des découvertes fondamentales tandis qu’ils dormaient. Si l’on en croit divers dormeurs inspirés, le sommeil aurait apporté la solution à des problèmes mathématiques difficiles, ou à des équations chimiques ; des romanciers auraient rêvé des épisodes de livres, tandis que des compositeurs se seraient réveillés avec une nouvelle mélodie en tête.
Mais d’où nous viennent ces éclairs de génie nocturne ? Les Grecs, habitués de telles expériences, les attribuaient à la visite d’une divinité. Souvent, le dieu ou la déesse les sortait de leur torpeur pour les encourager à agir. Il arrivait parfois que les dormeurs reçoivent l’inspiration d’une invention révolutionnaire, voire que la divinité leur fournisse pendant la nuit un bijou technologique déjà fabriqué. C’est ce que suggère un épisode raconté par le poète Pindare à propos d’un personnage au nom original, Bellérophon.
Soyez avertis : Pindare est un poète compliqué, il faudra démêler l’écheveau une fois que nous aurons lu ce passage !
« [Bellérophon] se réveilla soudain de son rêve et [Athéna] lui dit : ‘Tu dors, roi descendant d’Aiolos ? Allons, reçois ce charme pour les chevaux, puis fais le sacrifice d’un taureau blanc à ton ancêtre le Dompteur de chevaux (Poséidon), et montre-lui (le mors).’ Voilà tout ce que la vierge à la sombre égide sembla lui dire tandis qu’il dormait dans l’obscurité ; il bondit directement sur ses pieds. Il saisit l’objet prodigieux qui se trouvait à ses côtés et joyeux s’en alla trouver le devin du pays : il exposa au fils de Koiranos (Polyidos) comment toute l’affaire s’était déroulée, comment il s’était couché sur l’autel de la déesse pendant la nuit suivant l’oracle que le devin lui avait donné, et comment la fille même de Zeus aux traits de tonnerre lui avait fourni l’objet en or qui dompte les esprits. (Polyidos) l’invita à obéir au plus vite à son rêve : une fois qu’il aurait sacrifié un animal au pied ferme au puissant Détenteur de la Terre, qu’il établisse tout de suite un autel à Athéna des Chevaux. Le pouvoir des dieux accomplit aussi les entreprises vaines qu’on jurerait impossibles et sans espoir. Et bien sûr, le fort Bellérophon dans son élan appliqua le remède apaisant autour de la mâchoire et captura le cheval ailé ; il le monta et, cuirassé d’airain, il essaya immédiatement des mouvements. C’est avec ce cheval que, autrefois également, des froids replis de l’éther raréfié il frappa l’armée des archers femelles, les Amazones, et qu’il trucida la Chimère qui crache le feu ainsi que les Solymes. »
[voir Pindare Olympique 13.66-90]
Que s’est-il donc passé ? Selon Pindare, Bellérophon aurait d’abord reçu un oracle lui enjoignant de se dormir sur un autel ; là, il aurait reçu la visite d’Athéna pendant son sommeil.
Elle lui apporte un objet prodigieux, le mors qui sert à dompter les chevaux. D’après la légende, à cette époque les Grecs ne connaissent pas encore l’usage de cet instrument. Avec le prototype en or livré par Athéna, les Grecs vont pouvoir désormais diriger leurs chevaux avec une précision inégalée.
Ça tombe bien, puisque Bellérophon possède un cheval extraordinaire, Pégase, qui est même capable de voler ; alors avec un mors, Bellérophon se mue en pilote d’hélicoptère ! C’est avec ce nouveau véhicule qu’il pourra vaincre – entre autres – les Amazones et la Chimère. En remerciement pour le cadeau, Bellérophon est prié d’ériger un autel pour la déesse Athéna.
Tout est extraordinaire dans ce récit : l’objet lui-même, le cheval qui va le porter en premier, et les circonstances de la livraison nocturne. Une fois le modèle bêta testé sur Pégase, on pourra passer à la production en série ; les Grecs entrent ainsi dans l’ère hippomobile. On comprend pourquoi le poète nous rappelle que « le pouvoir des dieux accomplit aussi les entreprises vaines qu’on jurerait impossibles et sans espoir ».
Dormons donc, cela favorisera l’innovation technologique.
Si quelqu’un veut lire le texte grec: il faut décaler la référence, car le texte se trouve un peu après, c’est-à-dire en 13.94-129.
A notre époque, nous avons tendance à ne pas dormir assez, avec un risque de fatigue et de manque de tonus dans la journée, car l’électricité nous permet de rester réveillés longtemps le soir et divers médias électroniques maintiennent notre attention en éveil ou même dispersée. Mais l’homme est un animal diurne et, si nous voulions vivre plus en accord avec la nature, il faudrait nous coucher à peu près en même temps que le soleil, ce qui est très tôt en hiver. Nous sommes vraiment loin de ce rythme du lever et du coucher du soleil, qui varie avec les saisons. Dans l’Antiquité, les gens étaient forcément obligés de le respecter davantage, même si se coucher tard n’est rien de complètement nouveau, car avoir de la lumière était beaucoup plus difficile et beaucoup plus cher.
En ce qui concerne les innovations technologiques, si écrire n’est pour moi pas nouveau, écrire dans un blog et publier immédiatement est, en revanche, une pratique nouvelle depuis 2015. Cependant, établir un lien entre l’informatique et le grec ancien n’est pas du tout une nouveauté dans ma vie. En effet, lorsque j’étais lycéenne dans les années 1970, mon professeur de grec – et je devrais dire ma professeure de grec, puisque c’était une femme -, avait bien compris que l’informatique allait devenir importante et elle avait créé au lycée un club d’informatique, facultatif évidemment. D’autres élèves et moi, nous fréquentions à la fois le cours de grec ancien et le club d’informatique où nous écrivions de petits programmes dans des langages qui ont peut-être disparu, Pascal ou Basic. Alors d’accord: dans mon enfance, il n’y avait pas d’informatique et je ne suis pas « digital native ». Cependant, c’est dès ma jeunesse que l’informatique a fait partie de ma vie, complètement liée au grec ancien, grâce à cette professeure de ces années-là.
Avant de lire dans les Hodoi elektronikai, je lisais dans le Gutenberg project, qui présente beaucoup d’oeuvres grecques anciennes (sous « grec », car sous « grec ancien », il n’y a pas grand-chose), mais écrites en katharevousa. J’ai donc lu en katharevousa, par exemple Quo vadis, de Sienkiewicz, mais aussi d’autres oeuvres! Ce que je trouvais pratique dans le Gutenberg project, mais qu’on ne peut pas faire dans les Hodoi elektronikai et c’est dommage, c’est d’introduire dans les textes ses propres notes de lecture. Ainsi, on peut mettre un mot de vocabulaire, réviser plus tard. Cela me manque dans les Hodoi elektronikai où j’ai lu beaucoup de Plutarque.
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