Pour Éric Zemmour, Marine Le Pen a connu un fiasco intégral lors des élections présidentielles françaises : à l’inverse du roi Midas, elle a changé l’or en plomb.
Éric Zemmour nous rappelle dans Le Figaro que « tout le monde connaît la légende du roi Midas : le roi qui transformait le plomb en or. » [l’interview complète figure sur un site orienté nettement plus à doite de l’échiquier politique]
Or Marine Le Pen, elle, aurait fait le contraire, changeant l’or en plomb et signant un magistral échec pour sa formation politique. Il est vrai que perdre l’élection présidentielle française à deux contre un, ce n’est pas joli-joli, même si le score de Papa en 2002 (18%) laissait encore plus à désirer.
Ainsi, Marine serait une sorte d’anti-Midas. Mais au fait, tout le monde connaît-il vraiment la légende du roi Midas ? Pas sûr. Pour ceux qui voudraient en savoir un peu plus, il faudra faire une petite entorse aux limites habituelles de ce blog. En effet, la source principale qui nous renseigne sur le don extraordinaire du roi Midas se trouve chez un auteur latin, Ovide.
Le grec n’est pas loin, puisque ce poète, dans ses Métamorphoses, nous offre un splendide survol de la mythologie grecque ; et lui-même s’est manifestement appuyé sur des sources grecques. Alors, pour une fois, lisons un peu de latin et laissons Ovide nous expliquer comment Midas s’y est pris pour transformer le plomb en or.
Il faut cependant rappeler au préalable que Midas règne sur la Phrygie, une région du nord-ouest de l’Asie Mineure. Dans les collines boisées de son royaume, Midas est tombé sur Silène, un vieux satyre qui a élevé le dieu Dionysos. Silène est un peu désorienté car, comme souvent, il est complètement ivre. Midas le ramène à Dionysos et ce dernier, en remerciement, offre au roi la possibilité de réaliser un vœu.
« [Midas] – il allait faire mauvais usage de cette faveur – dit : ‘Fais que tout ce que je toucherai de mon corps se transforme en or jaune !’ Liber [Dionysos] accéda à la demande et lui accorda ce don, même s’il allait lui causer des ennuis. Cela fit de la peine au dieu que Midas n’ait rien demandé de meilleur.
Le héros de Bérécynthe [Midas] s’en alla tout content, satisfait de son cadeau empoisonné. Il voulut faire l’essai de la faveur promise en touchant une chose ou l’autre. Il en crut à peine ses yeux : il tira vers lui une branche verte de la ramure basse d’un chêne ; et voilà que la branche était transformée en or ! Il ramassa un caillou du sol ; le caillou, lui aussi, brilla comme de l’or. Il toucha une motte ; par l’effet du contact, la motte devint un lingot. Il cueillit des épis de blés, produisant une moisson d’or. La pomme qu’il tenait dans sa main, prise à un arbre, aurait pu venir du Jardin des Hespérides [dont les pommes étaient d’or]. Quand il passa la main sur les hautes colonnes de son palais, il lui sembla qu’elles rayonnaient d’un feu doré.
Et même, lorsqu’il se lava les mains à l’eau, le liquide qui glissa sur ses mains aurait pu tromper Danaé [recevant la visite de Zeus sous la forme d’une pluie d’or]. Il avait de la peine à imaginer ce qu’il pourrait espérer en se représentant que tout se transformerait en or.
Devant Midas tout réjoui, ses serviteurs dressèrent une table couverte de viandes, où ne manquait même pas le pain. Et en effet, s’il effleurait de la main les dons de Cérès [le pain], ceux-ci se figeaient en or. Tandis qu’il s’apprêtait à déchirer les viandes à pleines dents, ses dents ne rencontraient, à la place de la viande, que des plaques dorées. Il avait mélangé de l’eau pure avec le vin, œuvre de son bienfaiteur : on pouvait voir couler de sa bouche un flot d’or fondu. »
[voir Ovide Métamorphoses 11.102-126]
Midas se rend bien vite compte que sa cupidité l’a trahi : il ne peut plus se nourrir, plus boire, plus toucher ses proches, au risque de tout transformer en or. Il supplie Dionysos de le libérer de son vœu absurde ; le dieu, qui n’est pas un mauvais bougre, y consent. L’or de Midas se retrouvera désormais dans les flots du fleuve Pactole, où aujourd’hui encore on trouve des paillettes du précieux métal.
On ne sait pas exactement quel dieu grec a bien pu accorder à Marine le don de transformer l’or en plomb, mais il y a fort à parier qu’en ce moment même, elle doit être en train de le supplier de lui retirer ce don. En attendant, je préférerais qu’elle ne mette pas les pieds dans les sous-sols d’une banque suisse.
[image : Nathaniel Hawthorne, Le roi Midas et sa fille (tiré du Wonder Book for Boys and Girls, 1893). Ici, Midas est bien embêté car il vient de toucher sa fille…]
Ce journaliste du Figaro est bien optimiste, lorsqu’il écrit que tout le monde connaît l’histoire du roi Midas. Car d’où les gens connaîtraient-ils cette histoire? C’est une histoire qui nous apprend à nous méfier de notre propre cupidité, mais aussi, lorsque nous émettons un voeu, à prévoir ses conséquences. Bref, c’est un mythe qui éveille et rend plus intelligent.
La génération qui est en train d’atteindre la majorité et qui est donc née autour de l’an 2000, ne s’est pas vu proposer le latin ni le grec à l’école (ou alors, si peu…). En revanche, grâce à de bonnes idées comme les classes en immersion en anglais ou grâce à de nombreuses années d’études de cette langue, c’est une génération qui n’a pas de mal, de mon point de vue, à communiquer dans sa langue maternelle et en anglais.
Mais je ne serais pas étonnée que, dans quelque temps, un certain nombre de ces jeunes personnes se demandent comment il se fait que tant de mots se ressemblent dans les langues d’Europe. Alors, il faudra leur expliquer les racines communes, linguistiques et culturelles, que sont le latin et le grec pour le français, l’anglais, l’allemand, l’italien, l’espagnol, le grec moderne, le portugais…Sans être grande prophétesse, je crois que ce temps viendra. Mais la politique linguistique de l’Europe des dernières décennies a négligé ces connaissances, et le ‘repli identitaire’, s’il n’est pas souhaitable, est logique, puisque la conscience d’une origine commune n’est pas là.
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