Tandis qu’éclatent régulièrement des scandales dans les églises, les offices sont désertés. Retour sur une cas dramatique où l’absentéisme religieux a eu des conséquences désastreuses.
Avis de tempête sur l’Église catholique : voici qu’un nouveau scandale secoue cette fois-ci le clergé allemand, après qu’on a appris que des centaines d’enfants ont été abusés à divers titres et pendant une trentaine d’années dans un chœur catholique.
Après l’Irlande, les États-Unis, la France et d’autres pays encore, la liste s’allonge ; et de nombreux fidèles rompent avec un clergé qui tarde toujours à faire le ménage dans des affaires nauséabondes. Ces scandales ne font rien pour freiner l’inexorable érosion de la foule des fidèles. Les églises se vident, on ne va plus ni à la messe ni au culte.
Est-il légitime d’établir un lien de cause à effet entre les scandales récents et la désaffectation des églises ? Ou inversement doit-on penser que la vérité commence à sortir précisément parce que des personnes se sont affranchies de leur clergé ? Quoi qu’il en soit, personne ne niera qu’un profond changement est en train de se produire. Les églises chrétiennes, si elles veulent continuer d’exister, devront accepter une remise en question beaucoup plus fondamentale que tout ce qui a été entrepris jusqu’à présent.
La désertification des églises fait cependant écho à un phénomène beaucoup plus ancien, datant des débuts du christianisme : au IVe siècle, alors que le christianisme s’imposait en Égypte, le culte nouveau devait affronter la résistance des pratiques anciennes. La magie traditionnelle devait céder le pas à la communion, et des récits circulaient à propos de personnes qui, faute d’assister à la messe, rencontraient de graves ennuis.
« Il y avait un Égyptien qui s’était épris d’une femme mariée de statut libre. Comme il ne parvenait pas à la séduire, il s’adressa à un magicien : ‘Prends possession d’elle pour qu’elle m’aime, ou alors fais en sorte que son mari la chasse.’
Le magicien reçut le nécessaire et se livra à des sortilèges magiques qui transformèrent son apparence en celle d’une jument. Son mari était sorti ; à son retour, quelle ne fut sa surprise d’apercevoir une jument couchée sur son lit !
L’homme pleura et se lamenta ; il essaya de parler à l’animal, mais ne reçut aucune réponse. Il fit venir les anciens du village, les fit entrer chez lui et leur montra le prodige. Il ne trouvait aucune solution au problème.
Pendant trois jours, son épouse ne mangea ni fourrage – comme le ferait un jument – ni pain – comme le ferait un humain ; elle fut privée des deux types de nourriture. Finalement, pour que gloire soit rendue à Dieu et que la vertu de Saint Macaire se manifeste, il vint à l’esprit de notre homme de conduire son épouse dans le désert. Il la harnacha comme un cheval et la conduisit ainsi dans le désert.
Tandis qu’il s’approchait, les frères se tenaient près de la cellule de Macaire, se disputant avec le mari et lui disant : ‘Pourquoi nous as-tu amené ici cette jument ?’ Le mari répondit : ‘Pour qu’elle reçoive miséricorde.’ Ils lui dirent : ‘Qu’a-t-elle donc ?’ Le mari leur répondit : ‘J’avais une épouse, et elle a été transformée en jument ; et cela fait trois jours qu’elle n’a rien mangé !’
Ils firent rapport au saint homme qui faisait ses prières à l’intérieur de sa cellule. En effet, Dieu lui avait révélé l’affaire, et il était en train de prier pour elle. Saint Macaire répondit donc aux frères en ces termes : ‘C’est vous qui êtes des chevaux, vous qui avez des yeux de chevaux ! Car il s’agit d’une femme, elle n’a pas changé de forme, mais elle est transformée seulement pour ceux dont les yeux se laissent tromper.’
Puis il bénit de l’eau, la versa sur son corps nu en partant de la tête, et il pria. Et aussitôt, il fit en sorte qu’elle apparaisse comme une femme aux yeux de tous. Il lui présenta de la nourriture et la fit manger, puis il la laissa repartir avec son mari, tandis qu’elle rendait grâces au Seigneur.
Et il lui fit les recommandations suivantes : ‘Ne manque jamais d’aller à l’église, ne t’abstiens jamais de la communion. Car ce qui t’est arrivé s’est produit parce que, pendant cinq semaines, tu n’as pas participé aux cérémonies.’ »
[Palladios, Histoire lausiaque 17.6-9]
La morale de l’histoire est simple : si tu ne vas pas à l’église régulièrement, ta femme sera transformée en jument. Ou en d’autres termes : contre la magie traditionnelle égyptienne, rien de tel qu’un bon saint ermite pour exorciser les sortilèges. On peut toutefois douter que cela suffira à ramener dans les églises un troupeau dont les bergers, pendant bien trop longtemps, se sont accrochés à la loi du silence. Pour paître des brebis, on ne saurait recourir à des autruches qui mettent la tête sous le sable.
[image empruntée à Wiki Commons]
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Pour les inarrêtables lecteurs du texte original, que je ne saurais décevoir:
Ἀνήρ τις Αἰγύπτιος ἐρασθεὶς ἐλευθέρας γυναικὸς ὑπάνδρου, καὶ μὴ δυνάμενος αὐτὴν δελεάσαι, προσωμίλησε γόητι λέγων· «Ἕλον αὐτὴν εἰς τὸ ἀγαπῆσαί με, ἢ ἔργασαί τι ἵνα ῥίψῃ αὐτὴν ὁ ἀνὴρ αὐτῆς». Καὶ λαβὼν ὁ γόης τὸ ἱκανὸν ἐχρήσατο ταῖς γοητικαῖς μαγγανείαις, καὶ παρασκευάζει φοράδα αὐτὴν φανῆναι. Θεασάμενος οὖν ὁ ἀνὴρ ἔξωθεν ἐλθὼν ἐξενίζετο ὅτι εἰς τὸν κράββατον αὐτοῦ φορὰς ἀνέκειτο. Κλαίει, ὀδύρεται ὁ ἀνήρ· προσομιλεῖ τῷ ζῴῳ· ἀποκρίσεως οὐ τυγχάνει. Παρακαλεῖ τοὺς πρεσβυτέρους τῆς κώμης· εἰσάγει, δεικνύει· οὐχ εὑρίσκει τὸ πρᾶγμα. Ἐπὶ ἡμέρας τρεῖς οὔτε χόρτου μετέλαβεν ὡς φορὰς οὔτε ἄρτου ὡς ἄνθρωπος, ἀμφοτέρων ἐστερημένη τῶν τροφῶν. Τέλος, ἵνα δοξασθῇ ὁ θεὸς καὶ φανῇ ἡ ἀρετὴ τοῦ ἁγίου Μακαρίου, ἀνέβη ἐπὶ τὴν καρδίαν τοῦ ἀνδρὸς αὐτῆς ἀγαγεῖν αὐτὴν εἰς τὴν ἔρημον· καὶ φορβεώσας αὐτὴν ὡς ἵππον, οὕτως ἤγαγεν εἰς τὴν ἔρημον. Ἐν δὲ τῷ πλησιάσαι αὐτοὺς εἱστήκεισαν οἱ ἀδελφοὶ πλησίον τῆς κέλλης τοῦ Μακαρίου, μαχόμενοι τῷ ἀνδρὶ αὐτῆς καὶ λέγοντες· «Τί ἤγαγες ὧδε τὴν φοράδα ταύτην;» λέγει αὐτοῖς· «Ἵνα ἐλεηθῇ». Λέγουσιν αὐτῷ· «Τί γὰρ ἔχει;» ἀπεκρίνατο αὐτοῖς ὁ ἀνὴρ ὅτι «Γυνή μου ἦν, καὶ εἰς ἵππον μετεβλήθη, καὶ σήμερον τρίτην ἡμέραν ἔχει μὴ γευσαμένη τινός». Ἀναφέρουσι τῷ ἁγίῳ ἔνδον προσευχομένῳ· ἀπεκάλυψε γὰρ αὐτῷ ὁ θεός, καὶ προσηύχετο περὶ αὐτῆς. Ἀπεκρίνατο οὖν τοῖς ἀδελφοῖς ὁ ἅγιος Μακάριος καὶ λέγει αὐτοῖς· «Ἵπποι ὑμεῖς ἐστέ, οἱ τῶν ἵππων ἔχοντες τοὺς ὀφθαλμούς. Ἐκείνη γὰρ γυνή ἐστι, μὴ μετασχηματισθεῖσα, ἀλλ’ ἢ μόνον ἐν τοῖς ὀφθαλμοῖς τῶν ἠπατημένων». Καὶ εὐλογήσας ὕδωρ καὶ ἀπὸ κορυφῆς ἐπιχέας αὐτῇ γυμνῇ ἐπηύξατο· καὶ παραχρῆμα ἐποίησεν αὐτὴν γυναῖκα φανῆναι πᾶσι. Δοὺς δὲ αὐτῇ τροφὴν ἐποίησεν αὐτὴν φαγεῖν, καὶ ἀπέλυσεν αὐτὴν μετὰ τοῦ ἰδίου ἀνδρὸς εὐχαριστοῦσαν τῷ κυρίῳ. Καὶ ὑπέθετο αὐτῇ εἰπών· «Μηδέποτε ἀπολειφθῇς τῆς ἐκκλησίας, ⌈μηδέποτε ἀπόσχῃ τῆς κοινωνίας⌉· ταῦτα γάρ σοι συνέβη τῷ ἐπὶ πέντε ἑβδομάδας μὴ προσεληλυθέναι τοῖς μυστηρίοις».
Merci pour le texte original d’un auteur que je ne connaissais pas. Je suis capable de m’arrêter de lire du grec, mais ce n’est vraiment pas le bon moment, justement maintenant que j’ai davantage de temps libre, pas comme avant.
Cette histoire de jument ressemble à ceci, tiré du roman grec « Les Ephèsiaques », de Xénophon d’Ephèse (II, 8, 2):
Le héros amoureux, Habrocomès, rêve que…αὐτὸν δ̓ ἵππον γενόμενον ἐπὶ πολλὴν φέρεσθαι γῆν διώκοντα ἵππον ἄλλην θήλειαν, καὶ τέλος εὑρεῖν τὴν ἵππον καὶ ἄνθρωπον γενέσθαι. Ταῦτα ὡς ἔδοξεν ἰδεῖν, ἀνέθορέ τε καὶ μικρὰ εὔελπις ἦν. C’est sexy!
Le texte de Palladios semble s’adresser à un public plus simple que le texte de Xénophon d’Ephèse. Comme la jument est couchée sur le lit conjugal, le saint veut sans doute dire que, sans la religion, le couple devient bestial. De nos jours, cela peut être lu comme une pression exercée sur des gens simples – la religion « opium du peuple » -, mais cela pourrait aussi bien être vu comme un conseil qui les libère de la magie égyptienne.
Quant aux abus sexuels de prêtres sur des enfants, ils sont clairement condamnables. Les victimes ont raison de parler et on comprend parfaitement leur éloignement de l’Eglise. En revanche, pour d’autres personnes, il s’agit seulement d’une occasion pour quitter une religion à laquelle ils ne sont de toute façon pas attachés, ce qui est leur droit. Mais il ne faut pas généraliser le problème, autrement, on pourrait dire aussi bien dire qu’on ne va plus sur Internet, parce qu’il s’y trouve des pédophiles…ce qui est vrai et cependant, on continue à aller sur Internet.
Un des problèmes de l’Eglise catholique est qu’elle est dirigée par de vieux hommes qui laissent en suspens depuis des années nombre de difficultés, par exemple:
– le célibat obligatoire des prêtres qui amène la déviance sus-mentionnée, alors qu’au contraire, les pasteurs protestants et les popes orthodoxes peuvent se marier, ce qui fait une grande différence.
– la place des femmes est réduite: catéchèse, direction de choeurs, décoration des églises, mais pas de prise de parole qui compte.
– le remariage des divorcés etc.
En fait, la pression sociale va dans l’autre sens qu’il y a plusieurs décennies et on peut constater que beaucoup de jeunes se sentiraient ridicules, aux yeux de leur groupe d’âge, d’avoir la foi: c’est assez démodé. Certains disent qu’ils sont athées parce que la religion pousse à la guerre (croisades et autres guerres de religion). Mais on pourrait aussi bien soutenir que les religions poussent à la paix. Des rites laïques sont inventés, mais dans notre société, il manque certainement une spiritualité solide.
D’ailleurs, sans bigoterie, il ne faut pas sous-estimer ce que des prêtres ont apporté et apportent encore comme réconfort lors d’un décès ou au contraire lors de la naissance d’un enfant ou lors d’un mariage pour élever le couple au-dessus de l’accouplement du cheval et de la jument. De plus, lors des grandes fêtes chrétiennes de Pâques et de Noël, on peut facilement constater que beaucoup d’églises sont loin d’être vides. Certaines sont pleines à craquer lors de ces occasions et des prêtres font un gros effort pour attirer des jeunes en leur donnant un rôle et aussi pour célébrer la lumière, la joie, le respect, la solidarité, le sens de la vie, voire la musique, le mystère aussi.
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