Pauvre banquier suisse pourchassé par la justice américaine

prisonUn banquier suisse vient d’échapper aux griffes de la justice américaine. Qui doit-on croire dans cette histoire ?

Un banquier suisse relate ses déboires avec la justice des États-Unis. Si l’on en croit son récit, les autorités américaines l’ont fort mal traité, exerçant sur lui des pressions énormes pour qu’il admette sa culpabilité et demande un arrangement extra-judiciaire : menottes aux mains, chaînes aux pieds, on ne lui a rien épargné. La justice serait donc une affaire de marchandage dans le contexte d’une guerre économique menée tambour battant par l’Oncle Sam. Peut-on croire ce banquier ? Ou sommes-nous en présence d’une opération de communication savamment orchestrée ?

Nous n’aurons probablement jamais de réponse claire à ces questions. A priori, il n’y a aucune raison de douter des éléments avancés par ce brave Helvète. Cependant, je mettrais ma main à couper que l’affaire est bien plus complexe que ce qu’on veut bien nous raconter. Dans des affaires judiciaires d’une certaine ampleur, les principes fondamentaux de la justice ne constituent qu’un aspect des tractations : il y a aussi des marchandages de coulisses, et les protagonistes racontent leur histoire sous un jour qui les favorise. Autrement dit, la justice passe aussi par la rhétorique, comme le montre un parallèle avec l’affaire d’Andocide et de la profanation des Mystères.

Andocide était un Athénien de bonne famille, compromis dans un gros scandale politico-religieux en 415 av. J.-C. Nous ne saurons jamais précisément ce qu’il a fait ou n’a pas fait. Voyons plutôt comment, quinze ans après les événements, Andocide décrit les pressions exercées sur lui pour qu’il avoue des crimes dont il s’estimait innocent.

« Nous étions tous enchaînés dans la même prison. Il faisait nuit, la prison était verrouillée. L’un avait reçu la visite de sa mère, un deuxième celle de sa sœur, un autre encore celle de son épouse et de ses enfants. On entendait les cris et les lamentations de personnes qui pleuraient et gémissaient sur les malheurs qui les frappaient.

Charmidès vint alors me parler. C’était mon cousin, nous avions le même âge et avions grandi dans la même maison depuis l’enfance.

‘Andocide, tu constates l’ampleur des malheurs qui nous frappent. En ce qui me concerne, jusqu’à présent je n’ai jamais dû te parler de manière à te faire de la peine ; mais maintenant, j’y suis contraint par le malheur présent. Tes amis, tes fréquentations, sans même parler de nous, ta parenté, sommes tous accusés : à cause de cela, les uns sont morts, d’autres ont choisi l’exil, admettant implicitement leur culpabilité.

Si tu sais quelque chose de cette affaire, parle ! Sauve d’abord ta peau, ensuite celle de ton père, dont on peut supposer qu’il t’est très cher ; sauve aussi ton beau-frère, époux de ton unique sœur, sauve ensuite tous les autres parents et proches, et enfin sauve-moi : tout au long de ma vie, je ne t’ai jamais causé la moindre peine, je suis dévoué à ta personne et à tes affaires, quoi qu’il faille faire.’

Messieurs les juges, voilà ce que Charmidès me disait. Les autres insistaient, chacun me suppliait, si bien que je me suis dit :

‘Ah ! Dans quel terrible malheur suis-je tombé ! Puis-je fermer les yeux sur les membres de ma parenté qui sont anéantis de manière injuste ? Les uns sont mis à mort, les autres voient leurs biens confisqués, et en plus on grave leurs noms sur des stèles, affirmant qu’ils ont offensé les dieux alors qu’ils ne sont pour rien dans ce qui s’est passé ! Et voici encore que trois cents Athéniens vont être éliminés de façon injuste, tandis que la cité se trouve prise dans les pires malheurs et que la suspicion s’exerce sur tous. Ou alors, faut-il que je dise aux Athéniens ce que j’ai entendu de la bouche d’Euphilétos, l’auteur de ces actes ?’ »

[Andocide Sur les Mystères 48-51]

Si l’on en croit Andocide, sous la pression de ses proches, alors qu’il était enfermé dans une sinistre prison, il aurait décidé de parler et de dénoncer certains de ses concitoyens. Dans ce cas-ci, tout comme dans celui du banquier suisse, l’affaire est sans doute plus compliquée qu’il n’y paraît. Par une brillante opération de communication, Andocide se présente comme la victime d’une machine judiciaire impitoyable qui l’aurait broyé s’il n’avait pas accepté certains compromis. Dans le cas du banquier suisse, c’est l’inverse : en digne successeur de Guillaume Tell, il a tenu bon face à une puissance étrangère qui cherchait à lui imposer une tutelle inopportune. Il y a fort à parier qu’Andocide et le banquier ont dû recourir aux services de la même agence de communication.

[image: une porte de prison du Goulag]

Une réflexion sur “Pauvre banquier suisse pourchassé par la justice américaine

  1. Tout bon juriste vous dira qu’il ne faut pas confondre les différents métiers du pouvoir judiciaire. Un avocat est chargé par son client de le défendre et de lui faire gagner sa cause de la façon la plus favorable possible. L’avocat doit, évidemment, connaître les lois pour ne pas faire d’erreur. Mais plaider est un métier de rhétorique, encore de nos jours. Le métier d’avocat est un métier tout indiqué pour des gens qui aiment se battre avec des arguments, même si ceux-ci sont assez tordus et qui aiment faire triompher leurs idées.

    La personne qui est vraiment confrontée à la justice, au sens de trouver la vérité, c’est le juge ou le jury, ce n’est pas l’avocat. Après avoir écouté diverses plaidoiries, le juge ou le jury devront décider où est, selon eux, la vérité.

    Andocide plaide sa cause; il est plus un avocat (logographe) qu’un juge. Il écrit en avocat, dans la mesure où il met de son côté tous les arguments de nature à faire gagner ce qu’il désire. Aux autres de déceler la mauvaise foi ou la langue de bois. A quels indices peut-on, dans ce texte, découvrir qu’Andocide n’est pas à la recherche de la vérité, mais qu’il est à la recherche d’arguments destinés à mettre son public en sa faveur? C’est que dans le dernier paragraphe, sa grande générosité pour aider son entourage est un peu suspecte. En effet, le premier avantage qu’il y aura est pour lui-même, car il pourra sortir de prison.

    Quelque part – malheureusement, je ne sais plus exactement où, mais c’était peut-être en Grèce -, j’ai vu que la Faculté de droit et la Faculté des lettres étaient la même Faculté. J’ai d’abord été surprise, puis on m’a expliqué qu’en effet, et cela davantage autrefois qu’aujourd’hui, le Droit et les Lettres étaient des types d’études très proches. Et je pense que cela se justifie, car dans l’analyse d’un texte qui est un plaidoyer, les étudiants et étudiantes ayant étudié les lettres vont plus rapidement que d’autres s’apercevoir des « trucs » utilisés par les avocats pour faire gagner leur cause. Après nombre d’analyses de textes, détecter la rhétorique d’un discours deviendra même une seconde nature et sera beaucoup plus facile.

    Ce qui me frappe dans l’article du banquier suisse, c’est le nombre de fois où il affirme qu’il a agi en toute légalité. Je crois tout à fait que c’est exact. Il n’est sûrement pas assez bête pour agir de façon illégale. Le problème est que, même en agissant en toute légalité, on peut encore faire beaucoup de tort et réaliser des profits si ce n’est illégaux, du moins immoraux. Ceci vient du fait que la loi ne peut pas couvrir toutes les activités humaines. La loi possède donc des lacunes, des vides juridiques. Et, dans ces vides juridiques, les petits malins agissent en toute légalité, mais non selon la Justice.

    J’aimerais un jour lire Lysias intégralement (ce n’est pas extrêmement long). Et peut-être Andocide aussi. Je trouve que le métier de juge est un plus beau métier que le métier d’avocat ou logographe. Tout le monde a intérêt à apprendre à déjouer les pièges tendus par la rhétorique argumentative.

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