Virus Ebola : êtes-vous plutôt Sophocle ou Thucydide ?

V0015953 A Binsa sorcerer or shaman, Congo. Halftone.Le virus Ebola touche la République démocratique du Congo. Face à l’épidémie, les accusations de sorcellerie entravent le travail des autorités sanitaires. Faut-il adopter l’approche de Sophocle ou celle de Thucydide ?

Au Congo, des personnes atteintes du virus Ebola préfèrent prier que de recourir à des soins médicaux. La maladie serait la conséquence d’un mauvais sort jeté sur un village. Cela ne signifie pas pour autant que tous les Congolais raisonnent selon le même système de croyance : de nombreuses personnes sont en effet convaincues de l’utilité d’une approche sanitaire rigoureuse.

La coexistence, au sein d’une même société, de systèmes de croyances différents et parfois contradictoires n’est pas un fait nouveau. Autour de 429 av. J.‑C., le dramaturge athénien Sophocle met en scène sa meilleure tragédie : dans Œdipe Roi, la cité de Thèbes est frappée par une épidémie dont Œdipe, sans le savoir, porte la responsabilité. Pour avoir tué son propre père, il a provoqué une souillure qui rejaillit sur tous les Thébains.

Au même moment, les Athéniens sont engagés dans la Guerre du Péloponnèse. Forcés de s’entasser à l’intérieur des fortifications de la ville, ils doivent affronter une épidémie que l’on a traditionnellement appelée la « peste d’Athènes ». Variole, rougeole, typhoïde ? Les savants modernes restent divisés sur la question. Pour l’essentiel, cette épidémie nous est connue par la description que nous en fait Thucydide.

Deux systèmes de croyance s’affrontent dans une cité qui passe pour abriter les meilleurs esprits du moment. Dans les années qui précèdent l’éclatement de la guerre, les plus grands penseurs du monde grec se pressent à Athènes pour partager leurs idées, dans une atmosphère d’audace intellectuelle. La médecine n’échappe pas aux réflexions de ceux que l’on a appelés les sophistes.

Revenons-en à Sophocle et à son Œdipe Roi. La pièce s’ouvre sur les déclarations d’un prêtre qui décrit la situation préoccupante de la cité de Thèbes.

« Œdipe, roi de mon pays, tu nous vois tous blottis vers tes autels. Les uns n’ont pas encore la force de voler loin, les autres sont chargés par la vieillesse. Moi, je suis prêtre de Zeus ; et voici un détachement de jeunes gens.

Le reste du peuple se tient sur les places publiques, portant des guirlandes, près des deux temples de Pallas [Athéna] et de l’oracle d’Isménos rendu par des cendres. Car la cité, comme tu peux le constater, est déjà bien ébranlée ; elle ne parvient plus à relever la tête des gouffres et des sanglants remous. Elle dépérit par le grain qui sort de sa terre, elle dépérit parmi les troupeaux au pâturage, ainsi que dans les ventres des femmes qui n’arrivent plus à enfanter. La flamme du dieu sévit sur la cité, maudite épidémie ! Sous son effet, la demeure de Kadmos se vide, et le sombre Hadès s’emplit de gémissements et de lamentations. »

[Sophocle Œdipe Roi 14-30]

Après cette entrée en matière lugubre, Œdipe reçoit la visite de son beau-frère Créon, qui lui rapporte une explication à la situation, sous la forme de l’oracle d’Apollon.

  • Je vais donc dire le message que j’ai entendu de la part du dieu. Phoibos [Apollon] nous enjoint, sans détour, d’éloigner de notre sol la souillure qu’il nourrit. Il ne faut pas entretenir un mal qui deviendrait incurable.
  • Par quelle purification ? Et de quelle nature est la souillure ?
  • Il faut bannir les coupables, ou alors compenser le meurtre par un meurtre, puisque c’est du sang qui affecte notre cité.
  • Qui est mort, si l’on en croit les dénonciations du dieu ?
  • Ô roi, autrefois Laïos régnait sur cette terre, avant que tu n’en prennes le commandement.
  • Je sais, on me l’a dit ; mais lui, je ne l’ai pas connu.
  • C’est sa mort que le dieu nous enjoint clairement de venger sur les meurtriers.

[Sophocle Œdipe Roi 95-107]

Chez Sophocle, l’épidémie est causée par une souillure : un homme a été tué, il faut réparer ce crime avant que le mal ne s’étende à toute la cité de Thèbes. Voyons maintenant comment Thucydide décrit l’épidémie qui s’est abattue sur Athènes.

« Seulement quelques jours après l’arrivée [des ennemis] en Attique, la maladie commença à se manifester parmi les Athéniens. On rapporte que, précédemment, elle avait frappé plusieurs fois ailleurs, en particulier à Lemnos et en d’autres emplacements ; mais nulle part, de mémoire d’homme, l’épidémie ne s’était révélée aussi destructrice.

Les médecins, confrontés pour la première fois à cette maladie, étaient désemparés. De plus, eux-mêmes tombaient d’autant plus facilement victimes qu’ils étaient en contact avec les malades. Aucun moyen humain n’était efficace. Les procédures de supplication dans les temples, les oracles et les autres lieux saints étaient sans effet, et l’on finit par y renoncer car le mal avait pris le dessus. »

[Thucydide 2.47.3-4]

Chez l’historien athénien, on peut reconnaître une approche double : les médecins sont utilisés en première ligne, mais ils contractent eux-mêmes la maladie ; en outre, on essaie tout de même les moyens traditionnels de supplications aux dieux, mais rien n’y fait. Ce qui frappe ici, c’est l’absence d’une explication reposant sur une quelconque souillure. En revanche, Thucydide a bien reconnu que l’épidémie provient d’un foyer externe, et qu’elle s’est développée de manière particulièrement virulente dans les murs d’Athènes. Malgré cette situation désastreuse, l’épidémie a fini par se résorber. Les Athéniens n’ont pas été décimés et ils ont ainsi pu continuer à se battre avec leurs voisins pendant tout une génération.

Et les Congolais dans tout cela ? Entre Sophocle et Thucydide, à eux de décider quelle approche ils choisiront. On leur souhaite surtout que l’épidémie ne dure pas.

[image : un sorcier Binsa (Congo)]

2 réflexions sur “Virus Ebola : êtes-vous plutôt Sophocle ou Thucydide ?

  1. Θα γράψω δύο σχόλια. Πρώτα απ’όλα θέλω να γράψω ότι τελείωσα το διάβασμα της Οδύσσειας. Μεταξύ Ιανουάριου και Μαίου την διάβασα ολόκληρη στα αρχαία ελληνικά. Ο καθηγητής Schubert έδωσε το έναυσμα στην αρχή του χρόνου 2018. Για αυτό τον ευχαριστώ.
    Το Ιανουάριου όμως σκεφτόμουν ότι θα χρειάστηκα όλον τον χρόνο 2018 για αυτό το διάβασμα. Αλλά επειδή μου άρεσε πολύ η Οδύσσεια, μπορούσα και ήθελα να διαβάσω τακτικά. Είναι σχετικά με το περιεχόμενο του ένα απλό έργο. Μόνο η γλώσσα είναι δυσκολή, αλλά όχι οι περιπέτειες του Οδυσσέα που είναι απλές.
    Τι να κάνω τώρα με την Οδύσσεια; Πως μπορώ να συνεχίζω; Ίσως θα διαβάσω τώρα την Ιλιάδα, αλλά σίγουρα θα διαβάσω στο μέλλον ακόμα μια φορά την Οδύσσεια, και αυτό το δεύτερο διάβασμα θα είναι παρά πιο εύκολο από το πρώτο.

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  2. Ο λοιμός στο Κονγκό, ο λοιμός στον Σοφοκλή και ο λοιμός στον Θουκυδίδη.

    Το πιο μοντέρνο κείμενο, δηλαδή το κείμενο που περιέχει την νοοτροπία την πιο κοντά στην νοοτροπία μας, είναι το κείμενο του Θουκυδίδη. Ο Θουκυδίδης περιγράφει αυτό που βλέπει και μείνει όσο είναι δύνατον ουδέτερος. Όταν δεν ξέρει κάτι, π.χ. τί είναι αυτός ο λοιμός, δεν γράφει πολύ γρηγορά αιτίες και δεν ψάχνει ποιος φταίει. Γράφει μόνο ότι δεν ξέρουμε γιατί υπάρχει αυτή η νόσος. Κάνει μια ζωγραφιά. Η θρησκεία δεν παίζει ένα μεγάλο ρόλο.

    Αντίθετα στο Κονγκό και στον Σοφοκλή, η θρησκεία παίζει ένα μεγάλο ρόλο για την νόσο λοιμό. Ο κοσμός ψάχνει ποιος φταίει. Στον Σοφοκλή θέλουν ακόμα και να σκοτόσουν τον ένοχο. Για αυτό τον λόγο, τον ψάχνουν. Στο Κονγκό πηγαίνουν στους μάγους και εύχονται για να απαλλαθούν από τον ιό.

    Καλύτερα να σκεφθούμε όπως ο Θουκυδίδης, να είμαστε προσεκτικοί, όχι βιαστικοί όταν είμαστε μπροστά σ’ένα πρόβλημα ή σε μια νόσο. Αυτό όμως δεν σημαίνει ότι δεν υπάρχει ένας θέος ή ότι η θρηκεία είναι μόνο δεισιδειμονία. Η επιστήμη από την μια και ιδιαίτερα η ιατρική δεν ξέρουν όλα και έχουν ακόμα πολλές έλλειψες. Η θρησκεία από την άλλη δεν είναι μονολιθική. Μεταξύ τελετουργίων και πνεύματος για παράδειγμα, η διαφορά είναι μεγάλη. Καποιοι επιστήμονες το ξέρουν και είναι ταυτόχρονα και επιστήμονες και έχουν μια πίστη. Επιστήμονας δεν σημαίνει αυτόματα άθεος και άθεος δεν σημαίνει αυτόματα καλός επιστήμονας.

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