
— Ma chérie, quelle excellente idée, ce voyage dans l’Arizona !
— Pour échapper à belle-maman, la maison ne recule devant aucun sacrifice…
— Cesse de critiquer ma mère : sans elle, je ne serais pas là pour toi.
— Ahem… je vois que nous arrivons à Phoenix.
— Tu as vu l’écriteau ? ‘Welcome to Phoenix’. Et puis, il y a cette image de poulet. Tu crois qu’ils ont des élevages ?
— Ce n’est pas un poulet, c’est un phénix !
— Un phénix ? Voilà du nouveau.
— Pas si nouveau que ça : mon professeur de grec…
— Ah non ! pas celui-là encore ! Ce crétin serait capable de ressusciter son blog comme… comme…
— … comme un phénix. Ne fais pas cette tête de poulet frit : le phénix était un oiseau qui renaissait régulièrement de ses cendres. Les Égyptiens le connaissaient déjà, ils l’appelaient bnw, benu si tu préfères. Quand Hérodote a visité l’Égypte, ses guides lui ont décrit le phénix, entre autres animaux sacrés :
Il y a aussi un autre oiseau sacré, il s’appelle phénix. Pour ma part, je n’en ai pas vu, sauf en peinture. C’est normal : si l’on en croit les gens d’Héliopolis, il ne fait son apparition que tous les cinq cents ans ; et l’on dit qu’il apparaît à la mort de son père. [Hérodote 2.73]
— Soit, mais Hérodote ne dit pas que le phénix renaît.
— Parfois, il faut aller chercher les renseignements chez plusieurs auteurs. Ovide, un poète latin qui connaissait bien les textes grecs, nous fournit des détails supplémentaires.
— Par les lunettes de Lyncée, maintenant, je comprends pourquoi tu insistais pour que je laisse mes cannes de golf à la maison : tu as rempli le coffre de la voiture avec tes vieux bouquins, comme d’habitude.
— Cesse de rouspéter, et écoute plutôt la description faite par Ovide :
Il y a un oiseau – un seul ! – qui se renouvelle et se régénère de lui-même. Les Assyriens l’appellent phénix. Il ne se nourrit ni de graines ni d’herbes, mais de larmes d’encens et de jus d’amome.
Une fois qu’il a achevé les cinq siècles de son existence, il se construit avec ses serres et son bec (qui doit rester pur) un nid sur les branches ou au sommet oscillant d’un palmier. Il y fait un tas d’encens, de doux nard, de la cannelle et de la myrrhe blonde.
Puis, il se pose dessus et achève sa vie dans les parfums. C’est de là que, d’après la légende, renaît du corps du père un petit phénix destiné à vivre le même nombre d’années. [Ovide, Métamorphoses 15.391-407]
— Pas bête, ton phénix : s’il n’est pas victime d’un chasseur valaisan, il peut durer une éternité.
— Et pourtant, il est encore surpassé par les Naïades, des nymphes des rivières si tu préfères :
La corneille qui croasse vit neuf générations d’hommes vigoureux ; le cerf, quatre fois la corneille ; quant au corbeau, il atteint dans sa vieillesse trois fois l’âge d’un cerf.
Le phénix, lui, vit neuf fois plus longtemps que les corbeaux ; et nous, les Nymphes aux belles boucles, filles de Zeus porte-égide, notre existence est dix fois plus longue que celle des phénix ! [Hésiode, fragment 304 Merkelbach-West, cité par Plutarque, Sur la disparition des oracles 11.415c]
— Corneilles, cerfs, corbeaux, phénix, Naïades, c’est un peu compliqué, et en plus ça m’a donné faim. Un bon fast-food ferait l’affaire. Voici une enseigne alléchante : Arizona Fried Phoenix, ça te dit ?
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