
Mr. T et Mr. B veulent le pouvoir. Mr. T est viré, mais il s’accroche au pouvoir. Mr. B est frustré. Récit d’une lutte fratricide.
– Chérie, ces éleveurs de poulets de l’Arizona sont vraiment charmants. Je trouve seulement dommage qu’on leur ait volé l’élection, alors qu’ils avaient voté en masse pour Mr. T.
– Décidément, tu es incorrigible : d’abord, ce ne sont pas des poulets, mais des phénix. Tu en as d’ailleurs tellement mangé au fast-food l’autre jour que tu étais malade pendant la nuit des élections. Quant à la prétendue élection volée, je crois que tu accordes un peu trop de crédit aux Tweets de Mr. T…
– Mais je t’assure, ma chérie, il l’a écrit en MAJUSCULES. Nom d’un petit Crétois, il dit la vérité !
– C’est ça, et moi je suis la Pythie de Delphes et je t’assure que le pouvoir est une drogue. Les tyrans ne cèdent pas volontiers leur place. L’alternance du pouvoir ne signifie pas grand-chose à leurs yeux. Tiens, savais-tu que ton Mr. T a un illustre prédécesseur dans la personne du tyran de Thèbes ?
– Tu vas me dire que les Thébains avaient voté pour l’opposition…
– Mais non, les Thébains ne votaient pas. Cependant, Étéocle et Polynice, les fils d’Œdipe, s’étaient mis d’accord pour se partager le pouvoir en alternance, une année à la fois.
– Voilà qui est raisonnable. Seulement, ça n’a pas marché : car Étéocle, une fois vissé sur son trône de tyran de Thèbes, n’a plus voulu dévisser. Son frère Polynice, qui attendait son tour à Mycènes, a dû venir avec une armée pour réclamer son tour. Allez, laisse Fox News quelques minutes pour écouter comment Euripide met en scène Polynice, puis Étéocle, qui viennent tous deux dire à leur maman combien ils ont raison de vouloir le trône.
Elle est simple, la parole de vérité, et pour la justice, point n’est besoin de traductions compliquées : car elle frappe en plein dans le mille. Le discours injuste, en revanche, porte la maladie en soi, et il lui faut des remèdes habiles.
Moi, en quittant ma maison, je me suis soucié à la fois de mon intérêt et de celui d’Étéocle : il s’agissait d’échapper à la malédiction qu’Œdipe avait prononcée autrefois contre nous. J’ai quitté ce territoire de mon plein gré, et j’ai permis à Étéocle de régner sur notre patrie pour un cycle d’une année. (…) Lui, il était d’accord, il a prêté un serment par les dieux ; mais il n’a rien fait de ce qu’il avait promis. Voici qu’il s’accroche au pouvoir et retient ma part de notre maison. Or maintenant je suis prêt – si je reçois ce qui me revient – à renvoyer mon armée hors de ce territoire, et à administrer ma maison en prenant mon tour, puis à la céder à nouveau pour la même période. Je m’abstiendrai de dévaster ma patrie, et je ne placerai pas des échelles pour escalader les murailles ; mais si je n’obtiens pas justice, c’est bien ce que j’essaierai de faire.
Euripide, Phéniciennes 469-490
– Il m’a l’air un peu trop sûr de lui, ton Polynice : il a vraiment la justice pour lui ?
– Disons seulement que son frère est pire…
J’irais jusqu’à l’endroit du ciel où les astres se lèvent, j’irais jusque sous la terre, si j’en avais les moyens, pour posséder la plus grande des divinités, le Pouvoir. Ce trésor, mère, je ne veux pas le céder à un autre : je veux le garder pour moi.
Il ne serait en effet pas un homme, celui qui perdrait la meilleure portion pour prendre la moins bonne part. En outre, cela me ferait honte que Polynice, venu en armes pour dévaster ce territoire, obtienne ce qu’il veut. Ce serait un déshonneur pour Thèbes, si par peur d’une armée venue de Mycènes, j’abandonnais mon sceptre pour lui. Mère, il ne convient pas qu’il cherche un accord par les armes : car la discussion accomplit tout ce que réaliserait le fer des ennemis. Mais s’il veut habiter ce territoire sous d’autres conditions, soit ; je ne céderai cependant pas sur ce point : alors que je pourrais régner, vais-je m’asservir à Polynice ?
Euripide, Phéniciennes 504-520
– Alors tout est bien qui finit bien : Polynice vient avec son armée, il flanque une raclée à son vilain frère, et tout rentre dans l’ordre !
– Eh bien non : parce que, à vouloir se battre comme des chiffonniers pour avoir le pouvoir, les deux frères ont fini par s’entretuer. Ni l’un ni l’autre n’a pu garder le pouvoir.
– Je devrais peut-être essayer d’expliquer cela à Mr. T. Tiens, voilà une idée : je vais lui envoyer un Tweet, ça va marcher.
Mr. T, PLEASE LET Mr. B BE TYRANT, IT’S HIS TURN. YOU’RE FIRED.