
Une fusée lunaire, un vote important, et une reine qui apprend à lire pour assurer l’éducation de ses enfants.
Il n’aura échappé à personne que, voici exactement cinquante ans (le vendredi 5 février 1971), le module de la fusée Apollo 14 s’est posé sur la Lune. Bravo, les mecs !
Il n’aura échappé à personne que cet atterrissage lunaire vient d’éclipser un autre événement qui concerne directement la moitié de la population suisse : le dimanche 7 février 1971, les citoyens suisses se prononcent en faveur du droit de vote des femmes (avec 67.5% des votants). Bravo, les mecs !
Il n’aura échappé à personne que la forme épicène ‘votant-e’ était superflue dans le paragraphe qui précède, puisque par définition seuls les hommes étaient appelés à se prononcer sur la question. Là, il ne faut pas exagérer : un triple bravo serait déplacé, désolé les mecs…
Un petit pas pour les Suisses, un grand pas pour l’égalité des genres. Depuis un demi-siècle, le processus visant à réaliser l’égalité des sexes continue d’avancer, à la vitesse d’un escargot poitrinaire. Patience, Mesdames, en 2071 nous approcherons du but.
En attendant, les saintes tâches de la maternité ralentissent l’accès des femmes à une formation et une vie professionnelle comparable à celle des hommes. Le temps qu’elles passent à s’occuper des enfants réduit d’autant les possibilités de faire carrière. Souvent, elles doivent tout mener de front. C’est ce qui m’amène à vous parler d’Eurydice.
Eurydice venait d’Illyrie. Traduit en termes modernes, on dirait grosso modo qu’elle était croate. Elle a fait un beau mariage, puisqu’elle a épousé Amyntas III, roi de Macédoine, autour de 390 av. J.-C. La voici reine, et sa tâche première a été d’élever de beaux enfants pour son illustre époux. Or à l’instar des femmes d’aujourd’hui, Eurydice avait plusieurs casseroles sur le feu : elle s’occupait des gosses, bien sûr, mais elle a aussi pris des cours de formation continue, pour des raisons que nous allons voir.
Selon toute vraisemblance, la pratique n’était pas courante pour l’époque. C’est précisément son caractère exceptionnel qui a retenu l’attention de Plutarque, au début du IIe s. ap. J.-C. (ou peut-être d’un imitateur qui se prend pour Plutarque). L’auteur se pique de donner des leçons aux parents : après une recommandation d’ordre général pour les papas, il rappelle le souvenir de maman Eurydice.
« Avant tout, il faut que les pères soient sans faute : ils doivent se présenter à leurs enfants comme un modèle éclatant de la bonne manière d’agir. Ainsi, les enfants contempleront la vie de leurs pères comme un miroir d’eux-mêmes ; ils se détourneront des actes et des mots honteux. (…)
Il faut donc essayer de développer tous les efforts convenables pour contribuer à leur moralité. En cela, nous rivaliserons avec Eurydice, une Illyrienne, une triple barbare, qui s’est néanmoins appliquée à l’étude à un âge avancé afin d’instruire ses enfants. Son amour pour ses enfants trouve un témoignage suffisant dans l’épigramme qu’elle a consacrée aux Muses :
Eurydice d’Hiérapolis a consacré cette offrande aux Muses, après avoir satisfait son désir de connaissances. Mère d’enfants jeunes, elle travailla dur pour apprendre les lettres, qui sont les archives de nos légendes. »
Plutarque (?), Sur la façon d’éduquer les enfants, chapitre 20 (Moralia 14b-c)
Chapeau bas, Eurydice ! Toute reine qu’elle était, elle a dû apprendre à lire tandis qu’elle se battait avec les couches et les biberons. Si l’on en croit l’auteur de ce bref traité, la première raison qui l’aurait poussée à l’apprentissage aurait été de pouvoir encadrer l’éducation de ses propres enfants. Eurydice n’est pas devenue CEO du royaume de Macédoine, mais on constate tout de même que l’escargot de l’égalité des femmes a parcouru un long chemin depuis ce lointain prototype de formation continue. Souhaitons-lui désormais de passer à la vitesse supérieure.
Comme Mme Frances Martin l’a écrit il y a quelques semaines, je suis contente moi aussi que ce blog reprenne. Sauf erreur, il a commencé il y a six ans en mars 2015, puis fait une pause de deux ans, de fin 2018 à fin 2020. Pendant longtemps, j’avais posté un commentaire chaque fois que j’avais lu le texte grec relié au texte en français, c’est-à-dire quasiment toujours. A cette époque, j’aurais peut-être dû « poster » de façon moins systématique, d’autant que j’étais à peu près la seule à le faire. Car finalement, malgré toute l’égalité des sexes qui s’est heureusement développée, ne demande-t-on pas de nos jours encore aux femmes plus de discrétion qu’aux hommes? Et même de mettre davantage leurs qualités « sous le boisseau »?
Ce qui me plaît dans le blog, ce sont les qualités littéraires de l’auteur et, bien sûr, le lien avec de petits textes de grec ancien. Il n’est pas exclu que je remette des commentaires en grec moderne, car c’est un bon exercice pour moi, sauf naturellement si on me demande de ne plus le faire, par exemple parce que peu de lecteurs comprennent (mais ils peuvent facilement utiliser des traductions automatiques sur Internet). Et, si je n’ai pas lu le texte de grec ancien correspondant, je m’impose de ne pas commenter.
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Merci pour votre contribution! Effectivement, sur un blog francophone, le grec moderne a peu de chances de trouver un lectorat assidu (mais il n’est évidemment pas interdit). Vive le grec, qu’il soit ancien ou moderne.
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