Tandis que la température frise les 50° C au nord-ouest du Canada, nous sommes confrontés au réchauffement climatique annoncé par les experts, et nié par d’autres.
- Pffffffff… Chérie, quelle chaleur ! Je fonds comme un iceberg égaré en plein Sahara.
- Mon chou, c’est toi qui as insisté pour que nous allions trouver la fraîcheur au Canada cet été.
- Eh bien, par le taureau de Phalaris, c’est raté : 49 degrés dans ce bled, et pas un glaçon en vue ! Il fait encore plus chaud que lors de nos vacances de l’an passé à Phoenix. L’année prochaine, c’est promis, nous ferons à nouveau une croisière dans un paquebot climatisé.
- C’est malin : les paquebots brûlent des tonnes de carburant qui contribuent à renforcer le phénomène de réchauffement climatique.
- Au lieu de me faire la morale, tu pourrais me lire une de ces histoires dont tu as la spécialité. Un récit rafraîchissant, que je pourrais écouter, mollement couché sur un tendre gazon, à l’ombre d’un platane, accompagné par le bruissement d’un ruisseau d’eau glacée, en sirotant une bonne cannette de Molson, tandis que les cigales me berceraient de leur doux chant.
- Justement, le supermarché local fait un rabais sur l’édition complète de la Bibliothèque de Diodore de Sicile, emballée par paquets de six volumes. Je devrais trouver de quoi te satisfaire.
- Je sens poindre un soupçon de sarcasme…
- Peut-être. Mais rassure-toi, j’ai effectivement pris avec moi quelques pages de Diodore.
- Nooooon ? Jusqu’au nord-ouest du Canada ? Décidément, rien ne t’arrête lorsqu’il s’agit de lire tes vieilleries !
- Si tu ne veux pas faire un coup de chaleur, il va falloir te calmer. Voici donc une histoire pour t’aider à refroidir ta cervelle surchauffée. Ne bouge plus, ça commence.
De nombreux poètes et prosateurs affirment que Phaéthon, le fils du Soleil, un enfant, persuada son père de lui prêter son quadrige pour un jour, un seul. Son père lui accorda la faveur demandée. Phaéthon prit alors la conduite du quadrige, mais il ne parvint pas à maîtriser les rênes. Les chevaux ne firent aucun cas du gosse et sortirent de leur parcours habituel. Ils commencèrent par errer dans le ciel, puis lui mirent le feu : c’est ainsi que Phaéthon créa le cercle que nous appelons aujourd’hui la Voie Lactée. Ensuite, ils embrasèrent une bonne partie du monde habité et brûlèrent un vaste territoire.
- Tu l’as fait exprès ? Je crève de chaud et tu me racontes des histoires d’incendie !
- Hi ! hi ! La prochaine fois, tu diras « s’il te plaît, ma chérie », et je te parlerai de la banquise. Mais pour l’instant, c’est trop tard : je continue.
- Raaaaah… Mon sang commence à faire des bulles sous la peau !
- Mais non, pauvre chou, ce n’est qu’un neurone qui se réveille dans ta boîte crânienne et Diodore te fait presque oublier la température ambiante. Allez, je continue.
C’est pourquoi Zeus se fâcha en constatant ce qui s’était passé. Il foudroya donc Phaéthon, avant de remettre le soleil sur son circuit habituel. Quant au garçon, il tomba dans l’embouchure du fleuve que nous appelons aujourd’hui le Pô – autrefois, on l’appelait l’Éridan. Ses sœurs pleurèrent son trépas et lui accordèrent les plus grands honneurs. Et sous l’effet de leur chagrin excessif, elles se transformèrent en peupliers !
Chaque année, à la même saison, elles laissent couler une larme, laquelle se fige pour produire ce qu’on appelle de l’ambre. Celui-ci diffère par son éclat des autres variétés d’ambre ; et lorsque des jeunes gens meurent, la coutume veut qu’on l’utilise pour rappeler le chagrin des sœurs de Phaéthon.
Diodore de Sicile, Bibliothèque 5.23.2-4
Par le hublot de sa minuscule cabine, depuis le sixième étage d’un paquebot de croisière en Méditerranée, le/la touriste voit une mer d’huile loin en desssous de lui, plate, infinie, vide. Pas non plus le moindre petit nuage pour distraire la vue et toujours le Soleil qui, implacable, a repris définitivement les rênes après l’expérience ratée et malheureuse de son fils Phaéton.
Par le hublot, si on pouvait voir au moins le dos dodu d’un dauphin, sautant dans les vagues comme au temps de l’époque minoenne, mais avec l’air de sourire, comme il le faut sur les photos d’aujourd’hui! Heureusement, depuis le haut du « Pépin doré » – c’est le nom de baptême du bateau -, se profilent à l’horizon les montagnes de la Sicile de Diodore et on va pouvoir aborder à Agrigente. C’est bien, car le/la touriste commençait à se demander ce qu’il/elle faisait au milieu de tous ces pingouins errant dans les couloirs feutrés et attendant juste avec impatience l’heure des repas.
Mais on va jeter l’ancre.
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