Financer la culture ou finir écrabouillé

La culture n’est pas un bien accessoire, elle est essentielle pour nous tous. Les dieux veillent à nous le rappeler.

Les poètes ne se nourrissent pas de la rosée des fleurs : ils doivent pouvoir manger, comme vous et moi. Plus largement la culture n’est pas un luxe qu’on se paie de temps en temps, une fois qu’on a fini de payer la facture des avions de combat. Sans le théâtre, la poésie, la musique, l’écriture, le cinéma, la peinture, ou – osons le dire ! – une connaissance des langues anciennes, nous mangerons certes, mais ce sera un repas sans sel.

Tu veux de la culture ? Il faut payer. Pas de culture ? Tu finiras écrabouillé. C’est du moins ce que suggère une savoureuse anecdote relative au poète Simonide. Lecteur amoureux de la langue grecque, sois averti : Simonide était un Grec originaire de l’île de Kéos (aujourd’hui Kéa, au sud-est d’Athènes), mais l’histoire qui va suivre nous est transmise par Cicéron, qui écrivait en latin.

On raconte (…) que Simonide banquetait à Crannon, en Thessalie, chez Scopas – un homme prospère et considéré – et il avait exécuté le chant qu’il avait composé en son honneur. Pour l’embellir, à la manière des poètes, il avait inséré d’abondantes références à Castor et Pollux.

Avec une mesquinerie excessive, Scopas dit à Simonide que, pour ce chant, il lui donnerait la moitié du prix convenu ; quant au reste, il pouvait le demander aux Tyndarides [Castor et Pollux] s’il voulait, puisqu’il avait fait autant leur éloge que le sien.

Or on raconte que, peu après, on annonça à Simonide qu’il était attendu dehors : il y avait deux jeunes gens qui se tenaient à la porte et qui l’appelaient avec insistance. Il se leva, se rendit à la porte, mais ne vit personne.

Sur ces entrefaites, la salle de banquet où dînait Scopas s’effondra. Ce dernier périt dans le désastre avec sa famille. Ses proches voulurent les enterrer mais ils ne parvenaient en aucune façon à reconnaître les gens car ils étaient défigurés. On dit que Simonide, à partir de la mémoire qu’il avait conservée de la place de chacun dans le banquet, put identifier chaque personne pour être enterrée.

Cicéron, Sur l’orateur 2.86

Boum ! Scopas s’est montré pingre envers un poète, les dieux interviennent pour corriger le tir. Il n’aura échappé à personne que ce récit souligne aussi le rôle de la mémoire : si nous avons tant besoin des poètes et de tous les autres acteurs de la culture, c’est parce qu’ils servent à conserver la mémoire des humains.

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