« On ne redresse pas un vieil arbre tordu », disait mon estimé beau-père, faisant écho au proverbe anglais : « You can’t teach an old dog new tricks. » (on ne peut pas apprendre de nouveaux tours à un vieux chien). Vraiment ?
Pourtant, les recherches les plus récentes en la matière mettent au contraire en évidence la plasticité du cerveau humain, et ce jusqu’à un âge avancé. Le cliché de la personne âgée incapable d’apprendre est battu en brèche : si l’on en croit les spécialistes du Massachussets Institute of Technology (MIT), « les performances du cerveau évoluent avec l’âge, mais ne déclinent pas. »
Ça tombe bien : comme vous, je vieillis, et je commençais à m’inquiéter. Tout n’est donc pas perdu, nous pouvons encore apprendre, peut-être moins vite qu’un adolescent, mais de manière différente. Le législateur athénien Solon le disait déjà à la fin du VIe siècle av. J.-C., d’après le témoignage d’un petit écrit attribué – à tort – à Platon :
« Or faire de la philosophie, ce n’est rien d’autre que de suivre la voie de Solon, qui disait plus ou moins ceci : ‘Tandis que je vieillis, j’apprends continuellement de nombreux enseignements.’ Il me semble que celui qui veut faire de la philosophie doit toujours apprendre quelque chose, qu’il soit jeune ou âgé, pour apprendre un maximum de choses dans sa vie. »
[voir le pseudo-Platon Amants 133c]
Pour ceux qui voudraient vérifier leurs capacités de mémoire, essayez d’apprendre par cœur ce vers grec, qui correspond à l’aphorisme de Solon :
γηράσκω δ’ ἀεὶ πολλὰ διδασκόμενος
gèraskô d’ aei polla didaskomenos
Cela ne signifie pas pour autant que l’on apprenne les mêmes choses de la même manière à tous les âges : certaines compétences s’expriment mieux chez les jeunes, d’autres se manifestent avec l’expérience. À chaque moment de l’existence ses caractéristiques propres. Solon – toujours lui – avait bien compris la diversité des âges de la vie :
« Un enfant, avant d’arriver à maturité, ne parle pas encore : il perd ses premières dents dans un intervalle de sept ans.
Lorsque la divinité accomplit une nouvelle période de sept ans, elle fait apparaître les signes de la puberté.
Dans la troisième période, ses membres croissent encore et un duvet apparaît sur le menton, tandis que la peau change de texture.
Dans la quatrième période, chacun atteint le sommet de sa force ; les hommes affichent des signes de virilité.
Dans la cinquième période, il est temps pour l’homme de songer à se marier : il va chercher à prolonger sa lignée par des enfants.
Dans la sixième période, l’intelligence d’un homme atteint le sommet de ses compétences : il n’est plus porté à commettre des actes blâmables.
Dans la septième et la huitième période, son intelligence et son habileté oratoires ont atteint leur capacité maximale : cela fait une durée totale de quatorze ans.
Dans la neuvième période, il est encore en possession de ses moyens ; mais sa langue et sa sagesse font moins voir leur excellence.
Quant à celui qui accomplirait la dixième période, la mort ne serait pas prématurée. »
[voir Solon, cité par Philon Sur la création du monde 104]
Pour les forcenés qui souhaitent voir le texte grec, vous le trouverez dans la rubrique « Commentaires » de ce blog. Ensuite, n’hésitez pas à voir ce que Shakespeare a fait du poème de Solon.
Mais revenons à Solon : si vous l’avez bien lu, il semble se contredire. Dans son premier aphorisme, il prétendait qu’il ne cessait d’apprendre, même dans la vieillesse ; dans le poème sur les âges de la vie, il évoque plutôt un pic, après lequel les facultés diminuent. Nos chercheurs du MIT ont bien compris qu’il y avait deux manières d’interpréter la même situation et leurs découvertes suggèrent que, même avec l’âge, nous pouvons encore apprendre. Les vieux arbres tordus ont encore de beaux jours devant eux.
[image : Bartholomeus Anglicus, Les âges de la vie (1486)]