Une seule peur : que le ciel leur tombe sur la tête

asterixLes Gaulois d’Astérix ne craignent qu’une chose : que le ciel ne leur tombe sur la tête. Mais d’où vient cette idée ?

Par Toutatis ! Dans le village d’Astérix, les Gaulois n’ont peur de rien, et surtout pas des Romains, qui ont pourtant soumis toute la Gaule. Toute ? Non, car un petit village résiste encore et toujours à l’envahisseur. La seule chose qu’Astérix et ses compagnons craignent, c’est que le ciel leur tombe sur la tête.

Mais d’où vient cette idée ? On s’attendrait à la trouver dans les Commentaires sur la guerre des Gaules, rédigés par Jules César en personne. Eh bien non, c’est raté : allons faire un tour du côté d’Arrien de Nicomédie, un historien contemporain de Plutarque et de Tacite (Ier / IIe s. ap. J.-C.).

Dans son Anabase d’Alexandre, Arrien raconte les exploits d’Alexandre le Grand, depuis le moment où il accède au trône de Macédoine en 336 av. J.-C. jusqu’à sa mort en 323. Avant de lancer l’extraordinaire expédition militaire qui le conduira aux portes de l’Inde, Alexandre doit assurer ses arrières, notamment du côté des peuples turbulents qui occupent les Balkans. C’est ainsi qu’en 335, il entre en contact avec les Triballes (un peuple du bassin du Danube) et avec des Celtes qui se trouvent en Italie, à l’embouchure du Pô. Alexandre ne traversera pas l’Adriatique, mais il reçoit tout de même des ambassadeurs celtes, autrement dit des Gaulois.

« C’est alors que des ambassadeurs vinrent trouver Alexandre : ils venaient de divers peuples indépendants qui habitent près de l’Istros [Danube], envoyés notamment par Syrmos, roi des Triballes. Et il vint des délégués des Celtes qui étaient établis sur le Golfe d’Ionie [Mer Adriatique].

Les Celtes ont une grande taille, et aussi une haute opinion d’eux-mêmes ; cependant ils déclarèrent tous qu’ils étaient là parce qu’ils recherchaient l’amitié d’Alexandre. Ce dernier leur donna à tous des gages de confiance, et il en reçut de leur part.

Alexandre demanda aussi aux Celtes ce qu’ils craignaient le plus dans le monde des hommes. Il s’attendait à ce que sa réputation soit parvenue jusque chez les Celtes et même plus loin, et qu’ils disent que c’était lui qu’ils craignaient plus que tout.

La réponse des Celtes déjoua son attente : car ils étaient établis loin d’Alexandre et le pays qu’ils habitaient était d’un accès difficile. Comme ils constataient qu’Alexandre lançait son assaut dans une autre direction, ils déclarèrent qu’ils craignaient que le ciel leur tombe sur la tête. Quant à Alexandre, ils l’admiraient et ne venaient en ambassade auprès de lui ni par peur ni par intérêt.

Alexandre déclara qu’ils étaient des amis et en fit ses alliés avant de les laisser rentrer chez eux ; il ajouta néanmoins que les Celtes étaient des fanfarons. »

[Arrien Anabase 1.4.6-8]

Les Gaulois qui ont peur que le ciel leur tombe sur la tête ne vivent pas en Armorique, mais en Italie. Quant à l’ennemi potentiel qu’ils méprisent, ce n’est pas Jules César, mais Alexandre le Grand.

En fait, ce récit n’est qu’une version d’un motif narratif utilisé à toutes les sauces : un roi très orgueilleux entre en contact avec une personne ou un groupe de condition humble ; il s’attend à se faire flatter ; au contraire, la réponse souligne la vanité de son prétendu pouvoir. C’est ce qui arrive au roi Crésus lorsqu’il reçoit la visite de l’Athénien Solon ; et Alexandre lui-même essuie une réponse similaire de la part du philosophe Diogène, qui préfère bronzer au soleil plutôt que se lever pour honorer le roi.

Le récit rapporté par Arrien circulait depuis un bon moment : le géographe Strabon (Ier s. av. J.-C.) racontait plus ou moins la même histoire, tout en précisant qu’elle remontait à Ptolémée, l’un des compagnons d’Alexandre. Cela ne signifie pas pour autant que les Celtes n’étaient pas de courageux guerriers. Du vivant d’Alexandre, Aristote faisait déjà état de la bravoure légendaire de ce peuple.

« Parmi les individus dont le caractère présente des excès, il n’y a pas de nom pour celui qui n’a pas peur (…). Mais on pourrait l’appeler ‘fou’ ou ‘insensible à la souffrance’ s’il ne craignait rien, ou s’il ne craignait ‘ni séisme ni vagues’ comme on dit à propos des Celtes. »

[Aristote Éthique à Nicomaque 3 (1115b.24-29)]

Les spécialistes de la civilisation celte ajouteront sans doute que la bravoure de ce peuple trouve un écho jusqu’en Irlande ancienne : dans les serments prêtés par les anciens habitants de cette île lointaine, on jurait de maintenir une amitié, « sauf si le ciel s’effondrait, si la terre était ébranlée, et si la mer se déplaçait ». Il y a donc peut-être du vrai dans les déclaration d’Astérix et de ses compagnons.

Pour en revenir à Arrien, on peut constater qu’Alexandre paraît un peu vexé par la réponse que lui font ces Gaulois d’Italie qui n’ont même pas peur du roi de Macédoine. Cela ne l’empêche pas de constater une autre vérité que nos amis français ne sauraient démentir : leurs ancêtres les Gaulois étaient des fanfarons.

[image : panneau représentant Astérix, sur un mur à Saint-Trond (façade du magasin Strip Speciaalzaak De Galliër, Beekstraat 58)]

Élections fédérales : dernières recommandations aux candidat(e)s

swiss_flag_nbRéjouissons-nous : le 18 octobre 2015, les Suisses éliront leur Assemblée Fédérale, composée de 200 Conseillers Nationaux et de 46 Conseillers aux États. Voici les dernières recommandations pour les candidat(e)s, inspirées d’une sagesse grecque indémodable.

Les 200 sièges du Conseil National sont fort convoités : 3799 candidat(e)s se pressent au portillon. Autrement dit, il y aura 3599 déçus [95% des candidat(e)s] dimanche soir. Il vaut mieux investir son énergie dans le Conseil des États, dont les 46 sièges suscitent la convoitise de seulement 138 candidat(e)s.

Nos concitoyens d’Appenzell Rhodes-Intérieures, toujours en avance d’une idée sur les autres, se sont arrangés pour avoir déjà élu leur candidat au Conseil des États. Leurs cousins d’Appenzell Rhodes-Extérieures, eux, ont trouvé une autre solution originale : dans ce canton, le candidat unique est sûr de l’emporter au terme d’une lutte électorale acharnée, à moins que les dieux de l’Olympe ne lui jouent un sale tour.

Mais laissons les Appenzellois à leur heureux sort, et préoccupons-nous plutôt de prodiguer quelques dernières recommandations aux candidat(e)s, aussi bien aux futurs vainqueurs qu’aux déçus : car beaucoup de candidats peuvent déjà mettre un plat de couleuvres à leur menu du dimanche soir. Pour les préparer à l’inévitable défaite, proposons-leur d’abord quelques extraits du Manuel d’Épictète. Né esclave au milieu du Ier s. ap. J.-C., Épictète figure parmi les plus célèbres philosophes d’obédience stoïcienne. Ses pensées ont été rassemblées par un disciple, Arrien, au IIe siècle.

Voici donc un message pour ceux qui ne seront pas élus :

« Dans l’existence, il y a des choses qui dépendent de nous, et d’autres qui ne dépendent pas de nous. (…) Or si tu considères comme tien seulement ce qui t’appartient vraiment, et que tu considères comme étranger ce qui ne t’appartient pas (c’est la réalité !), personne n’exercera jamais de contrainte sur toi, personne ne te fera obstacle, tu ne blâmeras personne, tu n’accuseras personne, tu ne feras rien contre ton gré, tu n’auras pas d’ennemi, personne ne te fera des reproches, et tu ne subiras rien de fâcheux.

Avec de tels objectifs en tête, rappelle-toi qu’il te faudra fournir un effort considérable pour les atteindre : tu devras renoncer entièrement à certains d’entre eux, et en repousser d’autres pour l’instant. Mais si tu veux les atteindre, et tout à la fois exercer une magistrature et être riche, peut-être n’obtiendras-tu ni magistrature ni richesse parce que tu vises les premiers objectifs. Et en définitive, tu manqueras aussi ces premiers objectifs, qui seuls peuvent t’apporter liberté et bonheur. »

[voir Épictète, Manuel 1]

Les élus, eux, trouveront de l’inspiration auprès d’un autre philosophe, Théophraste, disciple d’Aristote (fin du IVe s. av. J.-C.). Dans ses Caractères, il s’est amusé à dépeindre les défauts de ses contemporains. Tout candidat à l’Assemblée Fédérale devrait au moins prendre connaissance de la description de l’Oligarque, partisan d’un mode de gouvernement autoritaire :

« Le tempérament oligarchique correspond à un amour du pouvoir, associé à une convoitise de force et de profit. Voici comment se comporte l’oligarque : lorsque l’Assemblée délibère pour savoir quels délégués l’on va désigner pour assister le magistrat principal dans une cérémonie officielle, il monte à la tribune pour dire que ces gens doivent avoir les pleins pouvoirs. Si les autres proposent que l’on désigne dix personnes, il dit : ‘Une seule suffira, mais il faut que ce soit un vrai homme.’ De tous les poèmes d’Homère, il n’a retenu qu’un seul vers : ‘Il n’est pas bon d’avoir plusieurs chefs ; qu’on se limite à un seul.’ Pour le reste, il ne connaît rien d’Homère.

On peut s’attendre à ce qu’il prononce des paroles telles que : ‘Il nous faut nous réunir entre nous, délibérer, et nous débarrasser de la foule et du menu fretin. Lorsque nous briguons des magistratures, il faut arrêter de nous laisser faire par ces gens, et ne pas attendre des honneurs de leur part.’ Ou encore : ‘Pour diriger l’État, c’est eux ou c’est nous !’ »

[voir Théophraste, Caractères 26.1-3]

Faisons confiance au peuple suisse qui, dans sa grande sagesse, saura choisir ceux qui seront à même de défendre l’intérêt général.

[image : Loi fédérale sur la protection des armoiries de la Suisse et autres signes publics (projet 2009)]