Artémis ressuscitée

dianeDenis Knœpfler, un archéologue suisse, retrouve le temple disparu de la déesse Artémis dans les environs de la cité antique d’Érétrie.

Denis Knœpfler est un historien-archéologue coriace, un têtu. Tous ses amis vous le diront. Et il faut le reconnaître, son obstination a payé : après un demi-siècle de recherches, il touche enfin au but puisqu’il a retrouvé les restes du temple d’Artémis à Amarynthos, non loin de la cité d’Érétrie.

Pour ceux qui ne connaissent pas, Érétrie se situe sur la grande île grecque que l’on appelle l’Eubée. C’est là que, depuis plus de soixante ans, l’École Suisse d’Archéologie en Grèce fouille inlassablement. On connaît Érétrie et ses environs non seulement par les vestiges archéologiques que la cité nous a livrés, mais par le témoignage de divers auteurs antiques qui parlent de la cité : Hérodote, Strabon, Pausanias ont chacun leur mot à dire sur Érétrie et Amarynthos.

Commençons par Pausanias (IIe s. ap. J.‑C.), auteur d’une Périégèse qui préfigure notre Guide Bleu : il décrit par le menu les lieux de Grèce qu’il visite, et quand il est dans la région d’Athènes, il procède à une digression intéressante à propos d’Amarynthos :

« Les Athmonéens [un groupe d’habitants de l’Attique] adorent Artémis Amarysienne. J’ai posé des questions aux spécialistes, mais ils ne m’ont rien appris de certain ; alors voici le résultat de mes propres conjectures. Amarynthos se trouve en Eubée. Les gens du lieu adorent (Artémis) Amarysienne, et les Athéniens aussi célèbrent une fête de l’Amarysienne qui ne le cède en rien à celle des Eubéens. »

[Pausanias le Périégète 1.31.5]

Si l’on en croit Pausanias, il y aurait eu un culte dédié à Artémis, à Amarynthos sur l’île d’Eubée. Notre guide ne parle pas du temple, mais cela sent le temple à plein nez. Sur les traces de Denis Knœpfler – qui est un coriace, un têtu – poursuivons donc l’enquête avec le témoignage de Strabon (Ier s. av. J.-C.).

« Avant de s’appeler Érétrie, la cité d’Appelait Mélanéis et Arotrie. Elle possède le village d’Amarynthos à sept stades des murs de la ville. Cette cité ancienne a été dévastée par les Perses, qui – d’après le récit d’Hérodote [3.149 et 6.31] – ont pris les hommes au filet après que les barbares se sont répandus en masse autour des remparts. On en montre encore les fondements, appelés Érétrie la Vieille, et aujourd’hui on a reconstruit par-dessus. La puissance dont jouissaient les Érétriens dans le passé est rendue manifeste par la stèle qu’ils ont autrefois érigée dans le sanctuaire d’Artémis Amarysienne : on y a gravé qu’une procession y était organisée, comprenant trois mille hoplites, six cents cavaliers et soixante chars. Les Érétriens commandaient aux gens (des îles) d’Andros, Ténos, Kéos et d’autres encore. »

[Strabon Géographie 10.1.10]

C’est tout simple : le temple d’Artémis Amarysienne se trouverait à sept stades (1.3 km) du site d’Érétrie. Il ne reste plus qu’à chercher un peu, que diable ! Or voici que l’affaire se complique car les archéologues ont beau chercher, ils ne trouvent rien. Pas la moindre trace du temple signalé par Strabon…

Cependant Denis Knœpfler – qui est un coriace, un têtu, rappelons-le – ne se laisse pas démonter. À force de retourner le passage de Strabon dans tous les sens, il a une idée de génie : et si la distance fournie par notre texte de Strabon était inexacte ?

Soyons précis : Strabon avait peu de chances de se tromper, mais il aurait suffi d’une seule lettre mal lue par les copistes qui ont transmis le texte de sa géographie pour que le temple d’Artémis Amarysienne échappe aux archéologues. Strabon parle en effet d’« Amarynthos à sept stades des murs de la ville ». Pour rendre « sept », on peut écrire ἑπτά, mais on peut aussi transcrire le chiffre avec la simple lettre zeta, c’est-à-dire ζ = 7. Or notre Denis Knœpfler – je ne vous rappellerai pas ses innombrables qualités – s’est rendu compte que le chiffre ζ = 7 pouvait facilement être confondu avec un autre chiffre, ξ = 60. Un copiste aux yeux fatigués aurait pu mal transcrire. Donc, au lieu de chercher à 7 stades (1.3 km) du site d’Érétrie, il faudrait chercher à 60 stades (11 km) !

Les recherches reprennent de plus belle. Voici dix ans, Denis Knœpfler n’avait pas encore trouvé grand-chose, sauf quelques blocs épars, mais il débordait d’enthousiasme pour sa chasse au trésor.

Il lui aura fallu encore beaucoup d’opiniâtreté pour parvenir au résultat tant attendu : en été 2017, les fouilleurs découvrent une tuile où ils peuvent lire ΑΡΤΕΜΙΔΟΣ, c’est-à-dire ARTEMIDOS « propriété d’Artémis ».

Victoire !!! Denis Knœpfler dispose enfin de la preuve qui lui manquait. Il se trouve bel et bien sur le site du sanctuaire d’Artémis Amarysienne, celui que Strabon avait mentionné. Notre ami est coriace, têtu, et il avait bien raison. Dans la recherche scientifique, il faut parfois beaucoup de patience pour parvenir à un résultat.

[image : Artémis / Diane chasseresse, sculpture de Bernardino Cametti (Rome 1717/1720)]

Incendier un temple pour faire passer son nom à la postérité

Artemis_templeEn 356 av. J.-C., un fou met le feu au temple d’Artémis à Éphèse, dans l’espoir que son nom sera ainsi transmis aux générations futures.

La déesse Artémis résidait dans la cité d’Éphèse, sur la côte de l’Asie Mineure (actuellement Turquie). Un premier temple est érigé en son honneur autour de l’an 600, mais non achevé. Il faut attendre 560 pour que, avec l’aide du roi lydien Crésus, l’on construise un temple splendide qui comptait parmi les sept merveilles du monde. En 356, ce même bâtiment est incendié par la main d’un fou, comme le rappelle l’historien latin Valère Maxime. Il parle évidemment de Diane, l’équivalent romain de la déesse grecque Artémis.

« Il s’est trouvé un homme pour vouloir mettre le feu au temple de Diane Éphésienne, afin que son nom soit disséminé à travers tout le monde une fois que cet ouvrage d’une beauté extraordinaire serait consumé. C’est du moins cette folie de l’esprit qu’il a dévoilée après avoir été soumis à la torture. Or les Éphésiens ont pris la sage décision de faire disparaître le souvenir de cet homme tout à fait détestable, et cela se serait ainsi réalisé si la propension de Théopompe à beaucoup bavarder n’avait pas inclus ce personnage dans ses histoires. » Voir Valère Maxime 8.14.5.

Ce témoignage nous apprend que, après l’incendie du temple, un suspect a été arrêté. Sous la torture, il a avoué son forfait ; nous savons aujourd’hui ce que valent des aveux arrachés par de tels procédés. Quoi qu’il en soit, l’incendiaire présumé aurait commis son acte dans l’espoir que l’on continuerait de parler de lui à l’avenir. Valère Maxime, respectueux de la volonté des Éphésiens, se garde bien de contribuer à une telle publicité, mais il nous signale qu’un autre historien – Théopompe, un Grec bavard – aurait transmis le nom du criminel. L’enquête risque cependant de tourner court, puisque les écrits de Théopompe ne sont pas conservés…

Il faut alors se tourner vers un autre érudit grec dont les écrits, eux, ont été transmis à la postérité : il s’agit du géographe Strabon. Celui-ci nous parle précisément du même temple d’Artémis.

« Chersiphron fut le premier constructeur du temple d’Artémis, puis un autre en fit un plus grand. Comme un certain Hérostratos l’avait incendié, ils en construisirent un autre meilleur en rassemblant les bijoux des femmes ainsi que leurs biens propres, en vendant aussi les colonnes du temple précédent. » Voir Strabon, Géographie 14.1.22.

Voilà, maintenant nous savons : l’incendiaire présumé s’appelait Hérostratos. Si telle était vraiment son intention, il aura réussi l’exploit de détruire l’une des sept merveilles du monde et de faire parler de lui plus de deux millénaires après son forfait. Mais peut-on se fier à des aveux obtenus par la torture ? Seule Artémis saurait nous dire qui a détruit son temple. Quant au nouveau temple, construit sur les ruines fumantes du précédent, il n’en reste hélas pratiquement rien aujourd’hui.

[Image : reconstitution de l’aspect du temple d’Artémis à Éphèse ; d’après http://www.ephesus.ws]