Sauvetage miraculeux d’un prématuré

prematureSa mère meurt d’une maladie implacable alors qu’elle est enceinte, mais un médecin particulièrement habile parvient à sauver l’enfant.

Les statistiques sont réjouissantes : les chances de survie d’un grand prématuré s’améliorent au fil des progrès de la médecine néo-natale.

Cela s’expliquerait par de nouveaux traitements, grâce auxquels on parvient désormais à sauver des fœtus de 22 semaines, ce qui semblait autrefois impossible.

Si l’on en croit le poète Pindare, le sauvetage des prématurés est une affaire ancienne. Le cas le plus remarquable concerne sans conteste la belle Coronis. Cette jeune fille, originaire de Thessalie, avait eu l’imprudence de plaquer le dieu Apollon pour lui préférer un étranger de passage. Ouïe ouïe ouïe ! Danger ! Apollon est un dieu jaloux, comme on va le voir…

Comme souvent avec Pindare, l’histoire commence par la fin ; mais ne vous en faites pas, nous tâcherons de remettre un peu d’ordre dans tout cela.

« La fille de Phlégyas au beaux chevaux [Coronis] n’avait pas encore accouché, avec l’aide d’Ilythie qui veille sur les mères, quand elle fut abattue par les traits d’or d’Artémis dans sa chambre à coucher et descendit dans la demeure d’Hadès, à cause des machinations d’Apollon. Or la colère des enfants de Zeus n’est pas vaine.

Il se trouve que Coronis, l’esprit embrouillé, avait repoussé Apollon, lui préférant une autre union sans même demander la permission à son père ; mais avant cela, elle avait couché avec Phoibos [Apollon] aux longs cheveux. »

[voir Pindare Pythique 3.8-14]

Aha ! C’est du joli : Coronis aurait donc couché d’abord avec Apollon, qui s’est arrangé pour la faire tomber enceinte. Ensuite, voilà qu’elle s’entiche d’Ischys, un étranger venu d’Arcadie. Apollon est donc d’autant plus vexé qu’il est lui-même le père de l’enfant que porte Coronis. Voyons la suite.

« Voilà qu’[Apollon] apprit qu’Ischyas l’Ilatide, un étranger, a couché avec elle, acte de traîtrise sacrilège ! Il envoya donc sa sœur allumée d’une colère impossible à éteindre jusqu’à Lacéréia, parce que la jeune fille habitait sur les rives escarpées du Lac Boibéis.

Une divinité adverse changea le cours de la vie [de Coronis] et l’abattit ; de nombreux voisins connurent le même sort et périrent avec elle. À partir d’une seule étincelle, le feu sur la montagne détruit souvent une forêt tout entière. »

[voir Pindare Pythique 3.31-37]

Quand une femme meurt de maladie, on dit que c’est Artémis qui lui a décoché une flèche ; pour les hommes, son frère Apollon s’en charge. Ce dernier a donc délégué la tâche à sa sœur puisqu’il s’agissait d’éliminer la belle infidèle. Mais Artémis a eu la main un peu lourde et elle provoqué une véritable épidémie dans le voisinage. Mettons cela sur le compte de la colère des dieux.

L’histoire ne s’arrête pas là : car le bébé que Coronis porte en son sein n’a pas encore péri.

« Or lorsque ses parents eurent placé la jeune fille sur le bûcher, au sommet des remparts, et que la flamme impétueuse d’Héphaïstos l’eut encerclée, alors Apollon se manifesta : ‘Je ne supporterai plus dans mon âme que ma propre descendance périsse d’une mort pitoyable en même temps que sa mère subit un sort insupportable.’

Voilà ses paroles ; et d’une seule enjambée, il monta sur le bûcher et retira l’enfant du cadavre, tandis que les flammes s’écartaient devant lui. Puis il l’emmena chez le Centaure [Chiron], en Magnésie, pour qu’il lui apprenne à guérir les hommes de leurs nombreuses maladies. »

[voir Pindare Pythique 3.38-46]

Le bébé est donc sauvé à la dernière minute et confié à un Centaure, Chiron, expert dans l’art de la médecine. Celui-ci élèvera le petit Asclépios – car c’est de lui qu’il s’agit, bien sûr – qui deviendra un médecin extraordinaire.

Chacun sait cependant que la médecine peut, elle aussi, provoquer une grave maladie, à savoir l’appât du gain. Et c’est ce qui est arrivé à Asclépios.

« Mais la compétence est prisonnière du gain : l’or qui brille dans les mains poussa cet homme également, pour un salaire remarquable, à arracher à la mort un homme alors qu’il était déjà condamné. Mais le fils de Cronos [Zeus] leur transperça à tous deux la poitrine et leur coupa le souffle ; la foudre brûlante précipita leur destin. Il ne faut demander aux dieux que ce qui est à la mesure des mortels, en regardant devant nos pieds, et reconnaître notre condition. »

[voir Pindare Pythique 3.54-60]

Quel étrange paradoxe : Asclépios, sauvé du bûcher par Apollon, devient médecin ; mais il dépasse les limites de son art et trahit la médecine en voulant arracher à la mort un homme condamné, et il finit foudroyé. Soigner, c’est bien ; mais nous ne devons jamais oublier que, tôt ou tard, notre tour viendra. Celui qui croit pouvoir changer notre condition mortelle s’expose au ressentiment des dieux.

[image : enfant prématuré]

Médecine personnalisée : un pas de plus vers l’immortalité

R-20111109-0061.jpgLa « médecine personnalisée » constitue un progrès considérable dans le domaine de la santé. L’exemple d’Asclépios nous rappelle cependant que, à chercher l’immortalité, l’homme finit parfois foudroyé.

Le concept de médecine personnalisée représente – sans conteste – l’évolution la plus marquante de ces dernières années.

L’idée est relativement simple : nos médecins vont désormais utiliser des médicaments dont les effets seront calibrés spécifiquement sur notre profil génétique individuel. En cas de cancer, cette approche devrait permettre d’utiliser tout de suite les médicaments appropriés, alors que jusqu’à présent on tâtonnait pour trouver le produit qui aurait le meilleur effet sur le patient. C’est une véritable révolution dans la médecine de pointe que l’on se doit de saluer à sa juste valeur. Des centaines de chercheurs consacrent des efforts considérables à développer cette nouvelle approche de la médecine de pointe.

En plus – cerise sur le gâteau – nos compagnies pharmaceutiques nous promettent que cela réduirait le gaspillage sur des médicaments très coûteux ; par conséquent, cela ferait baisser les coûts de la santé. Sans vouloir cracher dans la soupe, on peut tout de même douter de ce dernier point : si la médecine personnalisée allait faire diminuer les coûts de la santé, on ne verrait pas des compagnies comme Novartis et Roche se ruer vers ce nouvel Eldorado. Au contraire, cette nouvelle approche va vraisemblablement coûter plus cher, mais elle permettra d’allonger l’espérance de vie de ceux qui en auront les moyens. L’offre paraît irrésistible.

On prolongera notre vie mais nous serons plus nombreux à peupler les maisons de retraite. Espérons que, d’ici là, on aura aussi trouvé moyen de prévenir la sénilité, ou cela risque d’être difficile à vivre. Un point demeure néanmoins certain : tôt ou tard, la Grande Faucheuse nous rattrapera. C’est une leçon que le héros Asclépios a apprise à ses dépens, comme le raconte si bien le poète Pindare.

Zeus s’est uni avec une belle jeune fille, Coronis, et l’a rendue enceinte. Celle-ci a cependant commis l’erreur d’admettre dans son lit un rival. Zeus prend très mal la chose : il foudroie Coronis alors qu’elle porte encore l’enfant dans son ventre. Coronis est morte, mais le dieu parvient à extraire le bébé du ventre de sa mère : il s’agit d’Asclépios, qui est confié à la bonne garde d’un centaure, Chiron, spécialiste de la médecine. C’est ainsi qu’Asclépios devient le meilleur médecin du monde. Bien des années avant l’introduction de la médecine personnalisée, il accomplit des miracles, jusqu’au moment où il va trop loin. Écoutons plutôt Pindare.

« Tout le monde venait à lui : des gens porteurs d’ulcères dans leur chair, d’autres qui avaient été blessés à un membre par le bronze brillant ou par le jet d’une pierre. D’autres encore avaient le corps détruit par le feu de l’été ou par le froid de l’hiver. Il sauvait chacun en le délivrant de sa souffrance : pour certains, il utilisait de douces incantations ; à d’autres, il faisait boire des potions ; à d’autres encore, il appliquait toutes sortes de remèdes sur leurs membres ; par la chirurgie, il remettait les gens sur pied.

Mais l’habileté aussi est prisonnière de l’appât du gain. L’or a incité même Asclépios – en faisant reluire dans sa main un salaire mirifique – à arracher à la mort un homme qui était déjà condamné. Mais Zeus, fils de Cronos, dirigea sa main contre les deux : les frappant en pleine poitrine, il leur coupa le souffle sur le champ. Par le feu de la foudre, il scella leur destin. Il ne faut demander aux dieux que ce qui sied à notre nature humaine : regardons devant nos pieds et reconnaissons notre condition. Mon âme ! Ne recherche pas une vie immortelle, mais reste dans le domaine du possible ! »

[voir Pindare, Pythique 3.47-62]

C’est raté : non seulement Asclépios ne parvient pas à sauver son patient, mais il perd la vie dans l’aventure. Zeus n’a pas permis qu’un médecin efface la différence entre les hommes et les dieux.

Soyons justes avec le corps médical : la médecine personnalisée que l’on développe pour nous constituera un progrès remarquable, et pour cela nous devons toute notre reconnaissance aux chercheurs qui s’y consacrent. Mais restons aussi lucides face à la condition humaine et à l’institution la plus démocratique du monde, à savoir la mort qui nous attend tous, tôt ou tard.

[image : Apollon confie le petit Asclépios à la garde du centaure Chiron ; gravure hollandaise, d’après Hendrik Goltzius, 1590]