Il nous emm…

Face aux Français réfractaires au vaccin, Emmanuel Macron brandit sa dernière arme : les emmerder.

« Je ne suis pas pour emmerder les Français. Je peste toute la journée contre l’administration quand elle les bloque. Eh bien, là, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. »

Les propos du Président de la République française ont choqué nombre de ses concitoyens, vaccinés ou non. Mais que peut-il faire pour contraindre les récalcitrants ? Les faire fusiller ? Ressortir la guillotine, qui prend la poussière depuis un bon demi-siècle ? Tout président qu’il est, il n’a pas tous les pouvoirs et, face au refus vaccinal d’une frange de la population française, il ne peut qu’essayer d’avoir à l’usure les jusqu’au-boutistes.

Dans un pays dont la devise commence par « liberté », impossible de passer outre : il faut contourner l’obstacle, comme on l’a toujours fait dans des cas similaires. Au Ve s. av. J.-C., aussi bien les Athéniens que les Spartiates ont été confrontés à des problèmes de ce genre, comme le rapporte l’historien Thucydide.

Commençons par les Athéniens. Un dénommé Cylon, riche Athénien d’une famille auréolée de prestige, se met en tête d’instaurer la tyrannie dans sa cité. Il tente de s’emparer de l’Acropole, mais l’opération échoue.

Quand les Athéniens se rendirent compte de ce qui se passait, ils accoururent en masse depuis la campagne pour les attaquer et ils s’installèrent en vue de faire le siège de l’Acropole. Mais le temps passa et les Athéniens se lassèrent de ce siège. La plupart d’entre eux s’en allèrent. Ils confièrent alors la surveillance aux neuf archontes et leur accordèrent les pleins pouvoirs pour agir au mieux. (À cette époque, les neuf archontes réglaient la plupart des affaires courantes de la cité.)

Cylon et ses compagnons, assiégés, étaient en mauvaise posture car la nourriture et l’eau commençaient à manquer. Cylon lui-même parvint à s’enfuir avec son frère. Les autres, cependant, étaient pressés par la faim ; tandis que certains déjà mouraient, ces gens s’assirent en suppliants sur l’autel, sur l’Acropole.

Thucydide 1.126.7-10

Embêtant pour les magistrats : les suppliants bénéficient de la protection divine, il est hors de question d’aller les déloger par la force. De plus, si les assiégés commencent à mourir dans le sanctuaire, cela va faire désordre. Il faut donc contourner l’obstacle.

Les Athéniens chargés de la surveillance les firent lever lorsqu’ils virent qu’ils mouraient dans le sanctuaire. Ils les firent sortir en leur promettant de ne leur faire aucun mal et … les massacrèrent.

Thucydide 1.126.11

Elle est forte, celle-là : les Athéniens veulent avant tout éviter que les conjurés ne meurent à l’intérieur du sanctuaire car cela provoquerait une souillure. C’est donc sur la foi d’un mensonge qu’ils parviennent à les déloger. En théorie, tout est régulier puisque le massacre a eu lieu hors du sanctuaire d’Athéna.

Les Spartiates sont eux aussi confrontés à un problème analogue avec leur général Pausanias. Celui-ci, héros de guerre, vainqueur des Perses à la bataille de Platées en 479 av. J.-C., s’est paradoxalement laissé corrompre peu à peu par ces mêmes Perses. Les éphores de Sparte, de hauts magistrats, cherchent à réunir des preuves pour le confondre. Lorsqu’ils disposent finalement d’un témoignage accablant contre Pausanias, ils viennent l’arrêter.

On raconte que, au moment où il allait être arrêté dans la rue, au visage d’un des éphores qui s’approchaient, il comprit leur dessein. D’ailleurs, un autre, par bienveillance, lui fit un discret signe de tête pour l’avertir. Pausanias s’enfuit alors en courant et alla se réfugier dans le sanctuaire d’Athéna à la Demeure d’Airain, dont l’enceinte était toute proche.

Il pénétra dans la cellule du temple, qui était assez exiguë, pour éviter de souffrir des intempéries, et là il se tint tranquille. Mais les éphores, qui s’étaient d’abord fait distancer à la course, firent ensuite enlever le toit de la cellule. Ils guignèrent par les portes et constatèrent qu’il était bien là ; alors, ils le gardèrent à l’intérieur en murant les issues. Ils l’assiégèrent et le réduisirent par la faim.

Thucydide 1.134.1-2

La manœuvre des Spartiates ressemble un peu à celle des Athéniens : les éphores ne peuvent en effet pas déloger Pausanias, qui a trouvé asile dans un sanctuaire d’Athéna. En dignes prédécesseurs d’Emmanuel Macron, ils font tout pour l’emm… L’épisode athénien devrait toutefois nous inciter à la prudence : il faut en effet à tout prix éviter d’aller trop loin en laissant Pausanias mourir dans le sanctuaire, sinon cela provoquera une souillure.

Ainsi coincé dans le bâtiment, Pausanias était sur le point de rendre l’âme. Les éphores s’en aperçurent et le portèrent hors du sanctuaire encore en vie ; mais à peine sorti, il mourut aussitôt.

Thucydide 1.134.3

Bien joué : les Spartiates ont emm… Pausanias juste assez pour qu’il ne puisse plus résister lorsqu’ils le sortent de la cellule. S’il s’était débattu, cela aurait constitué un sacrilège à l’égard de la déesse.

La technique de l’emm…ment maximal semble donc fonctionner pour venir à bout des récalcitrants qui se réfugient derrière un principe sacré : en Grèce classique, ne me touche pas si je me réfugie dans un temple ; en France aujourd’hui, ne touche pas à ma liberté. Emmanuel Macron devrait toutefois réfléchir aux conséquences de son approche un peu directe : car les responsables du massacre athénien ont été condamnés par leurs concitoyens ; quant aux Spartiates, l’oracle de Delphes leur a enjoint de réhabiliter Pausanias.

Dur métier que celui de Président de la République : cher Emmanuel, tu n’en as pas fini avec les emm…ments.