Trump, 2e (et dernier) épisode : le politicien fou

Trump in AmesDonald Trump est-il fou ? Et la folie ne serait-elle pas un instrument de communication politique, comme l’a démontré l’Athénien Solon ?

Candidat à l’élection présidentielle américaine, Donald Trump multiplie les déclarations à l’emporte-pièce, au point où l’on commence à s’interroger sur sa santé mentale.

C’est du pain bénit pour son adversaire : plus on aiguillonne Trump, et plus il s’enfonce dans des propos outranciers.

On peut toutefois se demander si la folie n’est pas aussi un instrument de communication politique. Au VIe siècle av. J.-C., l’Athénien Solon se serait servi de cette arme pour convaincre ses concitoyens de poursuivre une guerre longue et pénible contre leurs voisins de Mégare à propos d’Égine, une île située en face d’Athènes.

C’est à nouveau Plutarque, infatigable érudit, qui nous renseigne sur cet épisode marquant de la vie politique athénienne.

« [Les Athéniens] menaient une guerre longue et ardue contre les Mégariens à propos de l’île de Salamine. Lassés, ils promulguèrent une loi interdisant à quiconque, sous peine de mort, d’écrire ou de dire qu’il fallait revendiquer Salamine.

Solon ne supportait pas un tel manque de résolution, et il constatait que de nombreux jeunes demandaient que l’on reprenne le combat, mais qu’ils n’osaient pas prendre les choses en main à cause de cette loi. Il fit donc semblant d’avoir perdu la tête, et des gens de sa maison firent courir le bruit dans la cité qu’il était devenu fou.

De son côté, il composa en secret des poèmes élégiaques et les apprit par cœur pour pouvoir les réciter. Et voici que, tout à coup, il s’élança sur la place publique avec un petit chapeau en forme d’entonnoir sur la tête.

Une foule nombreuse se rassembla ; Solon grimpa sur le rocher d’où s’exprimait le crieur public et chanta son poème en vers élégiaques. Voici le début de ce poème :

Me voici, tel un crieur venu depuis l’aimable Salamine, pour chanter un poème plutôt qu’un discours !

Ce poème s’intitule Salamine et il fait cent vers ; il est très bien écrit.

Une fois que Solon eut terminé de chanter, ses amis manifestèrent leur enthousiasme. Pisistrate, notamment, encouragea ses concitoyens et leur enjoignit de se laisser convaincre par celui qui venait de s’exprimer. Faisant machine arrière, ils abolirent la loi, reprirent le combat et donnèrent le commandement à Solon. »

[voir Plutarque, Vie de Solon 8.1-3]

Comme quoi feindre la folie peut parfois aider ceux qui font de la politique. Solon joue au fou et parvient ainsi à contourner la censure imposée par une loi. Dans le cas de Donald Trump, toutefois, on peut se demander s’il fait vraiment semblant…

[image : Donald Trump attendant le châtiment de Zeus…]

Un dieu grec peut-il devenir fou?

LyssaUn dieu grec – ou une déesse – peut-il devenir fou ? Pour répondre à cette question, demandons-nous tout d’abord ce qui définit un dieu dans la Grèce ancienne.

Le plus souvent, les dieux ont été caractérisés en contraste avec les hommes : alors que les premiers ne meurent jamais, les seconds sont soumis à une mort inévitable. Les dieux boivent le nectar, mangent l’ambroisie, et dans leurs veines coule l’ichor ; les hommes boivent de l’eau ou du vin, mangent du pain et de la viande, et leur corps est irrigué par le sang. Les dieux sont aussi censés vivre sans soucis, mais cette disposition générale est fréquemment contredite par des exceptions, notamment dans les poèmes homériques. On pourrait encore relever le fait que les dieux se déplacent rapidement où ils veulent, qu’ils habitent des lieux inaccessibles aux hommes, et que leur aspect est insupportable aux hommes (c’est pourquoi ils se présentent aux hommes sous une apparence humaine). De plus, les actions des dieux sont irréversibles : ce qu’un dieu fait ne peut être défait, même par un dieu.

Et la folie dans tout cela ? Les dieux, eux, sont capables de rendre les hommes fous, comme en témoigne notamment le cas d’Héraclès, qui tue femme et enfants. Euripide, dans l’Héraclès, met en scène la Folie personnifiée (Lyssa), chargée de provoquer la furie du malheureux héros. Elle reçoit les ordres des dieux par l’entremise de leur messagère attitrée, Iris. Dans un autre contexte, le héros Ajax sombre aussi dans la folie devant les murs de Troie, ce qui l’amène à se suicider.

Les dieux, par contre, ne peuvent apparemment pas devenir fous. Leur nature reste toujours inchangée, comme le souligne Platon :

« Il est impossible pour un dieu de vouloir changer ; mais, semble-t-il, chacun d’eux est le plus beau et le meilleur possible, et il conserve toujours et invariablement la même forme. » (voir Platon, République 381c)

Sur la question précise de la folie, nous possédons un témoignage plus explicite, fourni par le poète Bacchylide : alors que les dieux infligent la folie, et en délivrent les humains, ils ne sont eux-mêmes pas atteints par ce mal. Ainsi, les filles de Proitos sont rendues folles par la déesse Héra ; le père s’efforce alors de les libérer de leur mal, comme le rapporte le poète :

« Or lorsque leur père eut atteint le cours du fleuve Lousos il y fit ses ablutions et invoqua la fille aux larges yeux de Létô, la déesse au voile de pourpre. Il tendit se mains vers les rayons du soleil aux chevaux rapides, demandant qu’elle délivre ses enfants de la funeste Lyssa qui rend les gens fous : ‘Je te sacrifierai vingt bœufs au poil roux qui n’ont pas connu le joug !’ La fille d’un père parfait, la chasseuse de bêtes sauvages [Artémis] l’entendit. Elle persuada Héra et délivra les jeunes filles couronnées de boutons de roses de la démence qui n’affecte pas les dieux. » (voir Bacchylide, Épinicie 11.95-109)

[Image: Lyssa (la folie personnifiée), cratère apulien (Berlin), env. 330/320 av. J.-C.]