L’Égypte à l’épreuve du réchauffement climatique

nile_palestrina_mosaicL’Athénien Solon rapporte un récit que lui auraient fait des prêtres égyptiens : Athènes a succombé à plusieurs reprises aux catastrophes naturelles, incendies et inondations ; l’Égypte, en revanche, a été protégée de ces calamités par le Nil. Cela expliquerait l’ancienneté de la civilisation égyptienne.

Le réchauffement climatique est en marche, on nous annonce des inondations ainsi que des incendies. Le déni des compagnies pétrolières et charbonnières n’y fera rien : les faits sont têtus. Or si l’on en croit un récit attribué à l’Athénien Solon (VIe s. av. J.-C.), sa cité aurait été frappée à de multiples reprises par des incendies et des inondations qui auraient effacé la mémoire de temps plus anciens.

Ce récit est rapporté par Platon à la fin d’un traité intitulé Timée. Comme souvent chez Platon, il ne faut pas s’attacher à la véracité historique de l’épisode, mais plutôt apprécier la fable comme un symbole destiné à nous faire réfléchir. Et dans le cas du réchauffement climatique, une saine réflexion serait bienvenue face à l’irresponsabilité collective de l’humanité.

Voici donc l’histoire, placée dans la bouche d’un prêtre égyptien s’adressant à Solon :

« L’humanité a subi de nombreuses et profondes destructions, et cela arrivera encore. Ce sont les incendies et les inondations qui ont eu le plus grand impact ; mais il y a eu d’autres causes moins importantes, sous des formes innombrables.

Voici donc ce que l’on raconte dans notre pays. Il y a longtemps, Phaéthon, fils du Soleil, attela le char de son père, mais ne parvint pas à le maintenir sur la route suivie d’ordinaire par le Soleil. Il grilla ainsi la terre, et lui-même fut anéanti d’un trait de foudre.

C’est du moins ce que l’on rapporte sous la forme d’une légende ; mais en réalité, les corps célestes qui gravitent autour de la terre dévient parfois de leur trajectoire. Cela se passe sur des périodes très longues, et la surface de la terre est détruite de fond en comble. Lorsque cela se passe, tous ceux qui se trouvent dans les montagnes ou dans des lieux élevés et secs périssent plus facilement que ceux qui vivent à proximité des fleuves et de la mer. En ce qui nous concerne, le Nil est le sauveur des Égyptiens en de nombreuses circonstances, et notamment lorsque de tels événements se produisent : il déborde.

Inversement, il arrive que les dieux nettoient la terre en provoquant une inondation ; alors, les bouviers et les bergers qui habitent dans les montagnes survivent, tandis que les habitants des villes de Grèce sont entraînés par les fleuves vers la mer. En Égypte, au contraire, l’eau ne descend jamais des hauteurs vers la plaine, mais elle remonte d’ordinaire par en-dessous. Cela explique pourquoi nos plus anciennes traditions se sont conservées. »

[voir Platon, Timée 22c-e]

Résumons : d’après le prêtre égyptien cité par Solon, les corps célestes, déviant de leur course, auraient brûlé la terre athénienne et fait périr les habitants des montagnes. De plus, les inondations auraient noyé les citadins installés dans les plaines. Une catastrophe climatique aurait donc durement affecté les Athéniens, les privant de leurs souvenirs les plus anciens. Les Égyptiens, au contraire, qui ne vivent pas sur les hauteurs, auraient été protégés par la fraîcheur du Nil ; et les citadins n’auraient pas subi la force des torrents dévalant des montagnes. Il en résulterait que les Égyptiens auraient été épargnés et auraient conservé la mémoire de leur lointain passé.

Chez Platon, cette fable en appellera une autre, celle de l’Atlantide, État disparu dont personne ne se souviendrait sauf les Égyptiens. Mais laissons l’Atlantide dans son lointain oubli et demandons-nous plutôt ce que le récit nous dit sur les conséquences des bouleversements climatiques, qu’ils soient anciens ou contemporains.

Premièrement, on constate que ces changements prennent une telle ampleur que l’homme ne parvient pas à les maîtriser ; c’est pourquoi il importe aujourd’hui que l’humanité enraie le processus avant qu’il n’échappe à tout contrôle.

Ensuite, lorsque la nature prend le dessus sur l’homme et provoque des destructions en masse, non seulement des vies sont perdues, mais des civilisations entières disparaissent aussi. Peut-être n’est-il pas encore trop tard : les hommes sauront-ils entendre ce lointain avertissement ? Ou voulons-nous connaître l’anéantissement et l’oubli, comme les Athéniens des temps très reculés, ou comme les habitants de la mystérieuse Atlantide ?

[image : représentation du Nil, mosaïque, Ier s. av. J.-C., Palestrina (Italie)]

Incendier un temple pour faire passer son nom à la postérité

Artemis_templeEn 356 av. J.-C., un fou met le feu au temple d’Artémis à Éphèse, dans l’espoir que son nom sera ainsi transmis aux générations futures.

La déesse Artémis résidait dans la cité d’Éphèse, sur la côte de l’Asie Mineure (actuellement Turquie). Un premier temple est érigé en son honneur autour de l’an 600, mais non achevé. Il faut attendre 560 pour que, avec l’aide du roi lydien Crésus, l’on construise un temple splendide qui comptait parmi les sept merveilles du monde. En 356, ce même bâtiment est incendié par la main d’un fou, comme le rappelle l’historien latin Valère Maxime. Il parle évidemment de Diane, l’équivalent romain de la déesse grecque Artémis.

« Il s’est trouvé un homme pour vouloir mettre le feu au temple de Diane Éphésienne, afin que son nom soit disséminé à travers tout le monde une fois que cet ouvrage d’une beauté extraordinaire serait consumé. C’est du moins cette folie de l’esprit qu’il a dévoilée après avoir été soumis à la torture. Or les Éphésiens ont pris la sage décision de faire disparaître le souvenir de cet homme tout à fait détestable, et cela se serait ainsi réalisé si la propension de Théopompe à beaucoup bavarder n’avait pas inclus ce personnage dans ses histoires. » Voir Valère Maxime 8.14.5.

Ce témoignage nous apprend que, après l’incendie du temple, un suspect a été arrêté. Sous la torture, il a avoué son forfait ; nous savons aujourd’hui ce que valent des aveux arrachés par de tels procédés. Quoi qu’il en soit, l’incendiaire présumé aurait commis son acte dans l’espoir que l’on continuerait de parler de lui à l’avenir. Valère Maxime, respectueux de la volonté des Éphésiens, se garde bien de contribuer à une telle publicité, mais il nous signale qu’un autre historien – Théopompe, un Grec bavard – aurait transmis le nom du criminel. L’enquête risque cependant de tourner court, puisque les écrits de Théopompe ne sont pas conservés…

Il faut alors se tourner vers un autre érudit grec dont les écrits, eux, ont été transmis à la postérité : il s’agit du géographe Strabon. Celui-ci nous parle précisément du même temple d’Artémis.

« Chersiphron fut le premier constructeur du temple d’Artémis, puis un autre en fit un plus grand. Comme un certain Hérostratos l’avait incendié, ils en construisirent un autre meilleur en rassemblant les bijoux des femmes ainsi que leurs biens propres, en vendant aussi les colonnes du temple précédent. » Voir Strabon, Géographie 14.1.22.

Voilà, maintenant nous savons : l’incendiaire présumé s’appelait Hérostratos. Si telle était vraiment son intention, il aura réussi l’exploit de détruire l’une des sept merveilles du monde et de faire parler de lui plus de deux millénaires après son forfait. Mais peut-on se fier à des aveux obtenus par la torture ? Seule Artémis saurait nous dire qui a détruit son temple. Quant au nouveau temple, construit sur les ruines fumantes du précédent, il n’en reste hélas pratiquement rien aujourd’hui.

[Image : reconstitution de l’aspect du temple d’Artémis à Éphèse ; d’après http://www.ephesus.ws]