Faut-il craindre la mort ? Ou faut-il la désirer ? Le point de vue d’un philosophe sur la question.
- Chériiiiie ! Je suis déchiré : je n’ai plus goût à la vie, mais je crains de mourir.
- Oulalaaaaa, mon pauvre chou ! L’heure est grave : soit tu t’installes dans ton **** favori pour siroter une bonne **** bien fraîche en regardant le **** de ce soir, soit il va falloir envisager une cure d’Épicure.
- Très drôle, le jeu de mots… On ne pourrait pas faire les deux ?
- Au fait, pourquoi pas ? Commençons par Épicure et cela te donnera un peu d’énergie pour affronter la défaite de ton équipe favorite. D’ailleurs, ça tombe bien car je viens de retrouver, sous une pile de canettes vides, une magnifique édition de la Lettre à Ménécée d’Épicure. Elle est un peu souillée par des traces de doigts gras – ça doit être tes chips – mais nous devrions nous en sortir. Commençons donc par ta peur de mourir.
Habitue-toi à considérer que la mort n’est rien pour nous. En effet, tout bien et tout mal dépend de notre perception ; or la mort correspond à une privation de perception. C’est pourquoi une compréhension correcte du fait que la mort n’est rien pour nous rend la dimension mortelle de la vie agréable : elle ne nous impose pas une durée infinie, mais elle nous délivre du désir de l’immortalité.
Épicure, Lettre à Ménécée 124-125
- C’est plus compliqué que les règles du cricket, ton histoire…
- Mais pas du tout : quand tu es mort, tu ne te rends pas compte que tu es mort, justement parce que tu ne sens plus rien ! Et en plus, mourir t’évite de devoir traîner ta vie pour l’éternité.
- C’est vrai que, une fois mort, je ne devrais plus rien sentir.
- Allez, je continue.
En effet, il n’y a rien de terrible dans le fait de vivre pour celui qui a véritablement compris qu’il n’y a non plus rien de terrible dans le fait de ne pas vivre. Par conséquent, il est vain de dire qu’on craint la mort, non pas parce qu’elle causera de la souffrance lorsqu’elle est là, mais parce qu’elle cause de la souffrance du fait qu’elle va survenir : car ce qui est présent ne nous trouble pas, et si on l’attend, cela nous cause une crainte vaine.
- Par les trois têtes de la Chimère, je ne suis pas fait pour la philosophie !
- Attends, Épicure va clarifier cela.
Le plus effrayant des maux, la mort, n’est rien pour nous, puisque précisément lorsque nous existons, la mort n’est pas là, et lorsque la mort est là, alors nous, nous n’existons pas. Par conséquent, elle n’est rien ni pour les vivants, ni pour les morts, puisque justement pour les uns elle n’existe pas, et les autres n’existent plus.
- Ah ! Cette fois, j’ai compris ! Quand je suis vivant, la mort n’est pas là ; et quand la mort est là, je ne suis plus en état de le savoir, donc ça ne fait plus rien.
- Tu vois, quand tu fais un effort, ça va tout seul.
- Mais attends : si je n’ai plus peur de la mort, et que j’en ai assez de la vie, qu’est-ce qui va me retenir d’aller me jeter du haut d’une falaise ? Il est un peu dangereux, ton Épicure, non ?
- Écoute la suite et tu seras rassuré.
Cependant la plupart des gens dans certains cas fuient la mort comme le plus grand des malheurs, et dans d’autres cas ils la choisissent comme si elle était un soulagement des malheurs de la vie. Or le sage ne repousse pas la vie, et il ne craint pas de ne pas vivre.
- Là, je n’ai pas compris…
- C’est simple : il y a des gens qui ont peur de la mort, mais nous venons de trouver un truc pour leur ôter cette peur ; et pour les autres, qui en ont assez de vivre, il y aurait effectivement la tentation du suicide. Or Épicure dit qu’il ne faut avoir peur ni de vivre, ni de mourir.
- Ah oui, c’est assez fort. Et tous tes Grecs étaient d’accord avec cette manière de voir les choses ?
- Pas du tout ! Pour Épicure, lorsqu’on meurt, on n’existe plus. Pour Platon, par exemple, c’était impensable car il était persuadé de l’immortalité de l’âme. Donc il ne fallait pas pas forcément craindre la mort, mais il fallait s’y préparer parce que, après la mort, ce ne serait pas fini.
- Et voilà, maintenant j’ai de nouveau peur de mourir… Je ne vois qu’une solution : appliquer l’autre remède. Il est à quelle heure, ce match ?