Un candidat au Parlement suisse, issu d’un parti propre en ordre, propose de légaliser toutes les drogues. Utopie ou pari audacieux ?
Il ne s’agit pas seulement du cannabis : Thomas Kessler propose de légaliser l’accès à toutes les drogues, cocaïne, ecstasy, héroïne etc. La vente serait légale, mais réglementée et contrôlée par l’État.
Provocateur ? Sans doute un peu, et les partisans du propre en ordre vont tousser dans leur tasse de café lorsqu’ils découvriront ces propositions. On doit cependant concéder à notre iconoclaste le fait que le système répressif qui prévaut de nos jours ne fonctionne pas. N’importe qui peut acheter de la drogue dans la rue, à toute heure du jour ou de la nuit. Pendant ce temps, de gros caïds deviennent encore plus gros en profitant du fait que le produit, certes accessible, n’en est pas moins suffisamment rare pour faire grimper les prix.
Ou alors, faudrait-il éradiquer la consommation de drogues en adoptant des méthodes musclées ? La méthode « n’y qu’à pas en prendre » ? Voyons ce que cela a donné, voici trois millénaires.
« [Continuant notre voyage,] nous fûmes ballotés par des vents funestes pendant neuf jours sur la mer poissonneuse. Au dixième jour, nous abordâmes au pays des Lotophages, qui se nourrissent d’une fleur. Là, nous mîmes pied à terre et renouvelâmes notre provision d’eau ; et aussitôt, mes compagnons prirent leur repas sur leurs vaisseaux rapides.
Or une fois que nous eûmes rassasié notre faim et notre soif, j’envoyai mes compagnons en mission : ils devaient se renseigner pour savoir qui étaient les habitants du pays et ce qu’ils mangeaient. Je sélectionnai deux hommes, et un troisième pour faire l’estafette.
Ils partirent sur le champ se mêler aux Lotophages. Ces derniers ne cherchèrent pas à tuer mes compagnons, mais ils leur donnèrent du lotos à manger. Quiconque consommait du lotos, un fruit doux comme le miel, n’avait plus envie de revenir donner des nouvelles, ni de retourner. Ainsi donc, ils voulurent rester sur place, en compagnie des Lotophages, à manger du lotos dans l’oubli du retour.
Je dus les forcer à retourner, en pleurs, jusqu’aux navires, et une fois que je les eus traînés à fond de cale, je les mis aux fers. Quant au reste de mes fidèles compagnons, je leur enjoignis de monter en hâte sur les nefs rapides, avant que l’un d’eux ne consomme du lotos et n’en oublie le chemin du retour. »
On aura reconnu Ulysse et ses compagnons. Un bon point pour le héros : il est effectivement parvenu à contraindre ses compagnons à l’abstinence en les mettant aux fers, à fond de cale, et en levant les voiles. Adieu les Lotophages ! Il n’a toutefois fait que déplacer le problème, puisque ses compagnons vont continuer à céder à leur appétit (la navigation en mer, ça creuse…). Leur incapacité à maîtriser leur estomac provoquera une série de catastrophes dont la dernière sera fatale aux derniers survivants, excepté Ulysse. La méthode « n’y qu’à pas en prendre » ne fonctionne que si vous disposez de quelqu’un pour surveiller les gens en permanence. Dès qu’Ulysse s’endort ou perd de vue ses compagnons, ceux-ci se remettent à faire des bêtises.
L’épisode des Lotophages nous apporte cependant un autre enseignement : que cela nous plaise ou non, les drogues sont avec nous depuis très, très longtemps. Si nous ne sommes pas en mesure de les éradiquer, il vaudrait peut-être mieux trouver des compromis intelligents car la répression ne fonctionne pas.