Laïs a fait rêver des centaines de marins qui faisaient escale à Corinthe.
Corinthe et ses deux ports, l’un pour accueillir les navires venant de la Mer Ionienne, l’autre recevant, en provenance de la Mer Égée, les marins en quête de réconfort. Une fois à terre, ces derniers pouvaient gravir les pentes de l’Acrocorinthe. En chemin, ils s’abreuvaient à l’eau de la source Pirène, avant d’atteindre le sommet où se trouvait un sanctuaire d’Aphrodite. Les servantes de la déesse savaient y accueillir les matelots esseulés, avec le soutien des notables de l’endroit.
Xénophon de Corinthe, un homme suffisamment riche pour participer aux Jeux Olympiques, avait fait vœu – en cas de victoire – de consacrer à Aphrodite des prostituées pour regarnir les rangs de ce lupanar renommé. Il a gagné deux fois lors de la 79e Olympiade [464 av. J.-C.], à la course du stade ainsi qu’au pentathlon. J’en conclus que les marins ont dû trouver de nouvelles filles pour les attendre à la descente des navires.
Laïs faisait-elle partie du contingent ? Nous n’en savons rien, et de toute manière je ne suis pas sûr qu’elle était à la portée d’un pauvre marin. Si l’on rappelle sa mémoire encore aujourd’hui, c’est à cause de sa beauté sans pareille, une beauté qui se payait cher. Je veux croire que l’on rêvait d’elle jusque sur les côtes de la lointaine Phénicie et que, encore au IIe siècle av. J.-C., elle a su inspirer le poète Antipater de Sidon. Laïs ne peut plus rien dire, Antipater est mort, mais la stèle funéraire de la courtisane témoigne encore de ses attraits.
Elle s’alanguissait dans l’or et la pourpre, en compagnie d’Éros, plus délicate que la tendre Cypris : c’est Laïs que je détiens ici, résidente de Corinthe à la ceinture marine. Plus éclatante que les eaux claires de la source Pirène, on la surnommait la Cythérée mortelle. Elle eut des amants prestigieux, plus nombreux que ceux qui s’étaient jadis pressés pour la fille de Tyndare, pour cueillir ses charmes et acheter son amour.
Sa tombe exhale des effluves de safran odorant ; ses ossements sont encore imprégnés de myrrhe et d’encens ; et de sa chevelure luisante s’échappe un souffle parfumé.
À la mort de Laïs, la Déesse née de l’écume lacéra son propre visage, tandis qu’Éros éclata en sanglots, en lamentations et en gémissements. Si, esclave du gain, elle n’avait pas ouvert son lit à tous, l’Hellade aurait enduré les pires tourments pour elle, comme jadis pour Hélène.
Aujourd’hui, le voyageur préférera éviter Corinthe, ville bruyante et dépourvue de charme. Il trouvera un hôtel à Loutraki, où les vieux Athéniens venaient prendre les eaux aussi longtemps qu’il existait encore un petit train. Maintenant, c’est en voiture qu’on s’y rend pour barboter dans la mer. On aperçoit toujours Corinthe au loin, surmontée de son Acrocorinthe, où Laïs a fait les délices de l’Hellade.
Pas facile d’être une femme quand on traîne des milliers d’années de discours négatifs derrière soi…
Chériiiiie ! Le match va commencer, apporte-moi vite les chips et la bière !
Mon chou, tu sais où se trouve l’armoire aux provisions et le frigo n’a pas changé de place depuis vingt ans. Si tu parviens à défaire les racines qui te lient à ton canapé favori, tu ne devrais pas mourir de faim ou de soif.
Raaaaaaah ! Il faut décidément tout faire dans cette maison. Qui m’a donné une pareille épouse ?
Je crois que c’est toi qui m’as choisi. Allez, ne fais pas ton Hippolyte !
Hippolyte ? C’est qui, celui-là, ton amant ? Par les oreilles de Midas, il ne manquait plus que ça.
Mais non : Hippolyte, vénérateur de la déesse Artémis, voulait rester chaste et refusait les délices d’Aphrodite. Celle-ci s’est vexée et l’a puni cruellement.
Qu’est-ce qui lui est arrivé, à ton Hippolyte ?
Aphrodite a rendu sa belle-mère, Phèdre, amoureuse folle d’Hippolyte. Et lui n’en voulait pas…
Gênant. Ce qui est encore plus gênant, c’est que le match va commencer et que tu me distrais de mes activités intellectuelles en me parlant d’une histoire vieille de plus de deux mille ans. Ah ! mais je comprends, tu viens de passer trois jours avec le nez dans un vieux bouquin aux relents de Saint Nectaire, et tu es encore toute secouée par les mésaventures de ton Hippolyte. Alors vas-y, que dit Hippolyte sur les femmes ?
Si l’on en croit le tragédien Euripide, Hippolyte n’avait pas grand-chose de sympathique à dire sur les femmes. Pas étonnant que, plus de deux mille ans plus tard, les hommes ne se soient pas débarrassés de certains clichés.
Des clichés ? Allons, ma chérie, tu exagères !
Je ne crois pas. Tu vas me faire le plaisir d’éteindre la TV et tu vas écouter comment Hippolyte se représentait la gent féminine ; tu comprendras quelque chose.
Pfffff… Bon, pour toi je renonce au match Palézieux – Tolochenaz, un grand événement du football masculin. J’espère que tu mesures l’ampleur du sacrifice.
C’est parti ! Rappelle-toi seulement que c’est Euripide qui met ces paroles dans la bouche d’Hippolyte après qu’il a appris que sa belle-mère est folle de lui.
Oh Zeus ! Pourquoi donc as-tu apporté aux hommes un fléau trompeur, toi qui as établi les femmes à la lumière du soleil ? Mais enfin, si tu voulais propager la race des mortels, il ne fallait pas utiliser les femmes pour cela ! Il aurait suffi que les hommes déposent dans tes temples de l’or, du fer, ou une quantité de bronze, et chacun aurait acheté la semence pour produire ses enfants. Chacun en aurait acheté selon la valeur de son offrande, et nous aurions pu habiter des maisons libres de femmes.
Ouïe ! Il y va fort, Euripide. Les hommes auraient dû s’acheter des enfants sans s’encombrer des femmes ?
N’oublie pas qu’Euripide se livre ici à un exercice de rhétorique. Il veut frapper son public et ça a marché : vingt ans plus tard, il passait toujours pour un misogyne. Mais dans le fond, il voulait surtout souligner la misogynie de son personnage, Hippolyte. D’ailleurs, ça continue dans la suite du passage.
Et voici la preuve que la femme est un grand fléau. Un père l’engendre de sa semence, puis la nourrit, et enfin il l’éjecte de sa maison en lui fournissant une dot, dans l’idée qu’il va se débarrasser du fléau. Or voilà que celui qui a introduit chez lui cette plante vénéneuse se fait plaisir à décorer la pire des poupées avec de jolis ornements. Il se met en peine de l’habiller, le malheureux, et il ruine sa maisonnée. Il est bien obligé : s’il s’est allié à une belle-famille prestigieuse, au lit la pilule est amère à avaler ; au contraire, le mariage fonctionne bien, mais la belle-famille ne lui est d’aucune utilité, et les inconvénients écrasent les avantages.
Le plus facile, c’est de miser sur une nulle ; mais alors, elle est tellement bête qu’elle ne lui sert à rien. Quant à une femme intelligente, je déteste cela et je préfère éviter d’introduire chez moi une personne qui a plus de jugeotte qu’il n’en faut à une femme. En effet, Cypris provoque la malfaisance surtout chez les femmes intelligentes ; celle qui n’est pas futée, du fait de ses moyens limités, ne peut pas commettre de folies.
Euripide n’a pas dû se faire beaucoup d’amies avec ce passage…
Tu as probablement raison. Le pire, toutefois, c’est que les clichés ont la vie dure. Alors ton match, c’est comme tu veux, mais les chips et la bière, tu peux t’en occuper toi-même.
Qui se rappelle qu’Ulysse avait une sœur ? Un petit coup de projecteur sur la présence fugace de quelques femmes dans l’Odyssée.
Lorsqu’on lit l’Odyssée, il y a des détails sur lesquels on passe parfois sans y faire attention. Ulysse, roi d’Ithaque, revient en son manoir et déploie mille ruses pour recouvrer sa maisonnée, y compris sa fidèle épouse Pénélope, courtisée par une bande de voyous. Or le narrateur nous livre des renseignements insolites sur l’enfance de notre héros. Gamin, il avait failli se faire mettre en pièce par un sanglier qui lui avait lacéré la jambe ; il en avait gardé une cicatrice mémorable. Au détour d’une phrase, le lecteur attentif découvrira aussi l’existence d’une petite sœur d’Ulysse. C’est le porcher Eumée, fidèle serviteur du roi, qui le rappelle : on trouve dans son récit Laërte et Anticlée, les parents d’Ulysse, dans une petite vignette familiale.
« Laërte est toujours vivant, mais il prie constamment Zeus de détacher sa vie de son corps dans sa maison : car il se lamente terriblement de l’absence de son fils et de la mort de son épouse avisée ; la perte de cette dernière lui a causé une peine immense et l’a précipité dans les affres de la vieillesse. Elle, souffrant pour son glorieux fils, est morte d’un trépas misérable. Puisse une telle mort épargner celui qui, habitant de ces lieux, me prodigue son amitié et m’accorde ses bienfaits.
Tant qu’elle était là, malgré son chagrin, j’avais du plaisir à prendre de ses nouvelles parce que c’est elle qui m’a élevé, aux côtés de Ctiméné à la robe flottante, sa fille majestueuse, la cadette de ses enfants. Nous avons grandi ensemble et c’est à peine si Anticlée m’a accordé moins d’attention qu’à Ctiméné.
Cependant, lorsque nous eûmes tous deux atteint l’aimable adolescence, ils la donnèrent en mariage à un gars de Samé et reçurent en échange des cadeaux considérables. Quant à moi, Anticlée me revêtit de beaux habits, une tunique et un manteau, me donna des chaussures pour mes pieds et m’envoya travailler aux champs ; mais elle ne m’en a que plus aimé dans son cœur.
Non seulement Ulysse avait une petite sœur, mais elle a passé son enfance à jouer avec un petit serviteur de la maison. Homère suggère qu’il y avait peut-être d’autres frères et sœurs ; mais comme ils ne jouent aucun rôle dans l’histoire, il est inutile de préciser les choses. Nous ne saurons pas si Ulysse se battait avec un grand frère ou s’il allait tirer les ailes des cigales avec une autre sœur.
Il y a d’autres femmes invisibles dans l’Odyssée : ce sont celles qui accompagnent Ulysse et ses compagnons tout au long de leur voyage. Après avoir quitté Troie, le premier arrêt se fait chez les Cicones, où nos Ithaquiens se livrent à un pillage sans vergogne.
« Partis d’Ilion, le vent nous porta vers les Cicones, chez Ismaros. Là, je mis à sac la citadelle et je les passai au fil de l’épée. De la ville, nous prîmes les femmes et d’abondantes richesses, que nous partageâmes, pour que personne ne reparte en me reprochant de ne pas avoir eu sa part. »
Le butin pris sur les Cicones comprend notamment des outres de vins, celles qu’Ulysse utilisera pour enivrer le Cyclope Polyphème. On oublierait toutefois facilement le fait que, désormais, les hommes d’Ulysse ne sont plus seuls : ils ont une cargaison de femmes qu’ils ont arrachées à leur patrie dès la première étape du voyage. Il n’est plus question d’elles dans le récit, mais elles vont apporter tendresse et réconfort forcés à l’équipage ; on peut compter sur elles pour faire la cuisine et la lessive ; et lorsque la tempête anéantira la flotte d’Ulysse, elles mourront noyées avec ceux qui les avaient enlevées. Un détail, me dira-t-on, mais elles méritaient tout de même qu’on rappelle leur existence.
Mon pauvre chou : c’est vrai que, dans l’appartement, la température est descendue à 24° C … Tu risques la pneumonie.
Mais comment veux-tu que j’apprécie le match si je gèle ? Ce soir, il y a Fidji – Vatican, un grand moment de l’histoire du foot.
Tu vas devoir t’endurcir un peu car l’hiver promet d’être rude. Prends exemple sur Socrate !
Socrate ? Trop facile, à Athènes il fait toujours beau et chaud.
Détrompe-toi ! Non seulement il peut neiger à Athènes, mais en plus Socrate a dû participer à une campagne militaire dans le nord de la Mer Égée, à Potidée, où il faisait rudement froid. C’est Alcibiade qui le raconte dans le Banquet de Platon.
Aïe ! Je sens que le début de mon match va être différé par une saine lecture… Je croyais pourtant avoir éliminé toutes les éditions de Platon de notre maison. Permets-moi au moins de me préparer un bon vin chaud, de l’agrémenter d’un gros paquet de chips, et de m’installer sur mon canapé préféré …
… avec une couverture épaisse pour te tenir bien au chaud. Mais oui, c’est mon chou à moi, il est bien installé, ça se voit. Prêt pour Socrate ?
Seulement si tu me promets de me laisser regarder le match dans cinq minutes.
Promis ! Imagine donc les troupes athéniennes en campagne à Potidée, sur une presqu’île de la Chalcidique où le vent doit souffler fort en hiver. Alcibiade rappelle comment Socrate a impressionné ses camarades.
Quant à son endurance en hiver – là-bas, les hivers sont terribles – dans l’ensemble il se débrouillait étonnamment bien. Ce fut particulièrement vrai un jour où il avait gelé de manière effroyable. Tout le monde s’abstenait de sortir ; ou alors, si quelqu’un sortait, c’était en se couvrant en prenant d’infinies précautions et en se chaussant les pieds avec du feutre et des peaux de moutons.
Or Socrate, dans cette situation, sortait en portant le même manteau qu’il avait l’habitude de porter jusque-là. Il se baladait pieds nus et traversait la glace plus facilement que les autres qui étaient chaussés, et les soldats le regardaient de travers parce qu’ils pensaient que Socrate se moquait d’eux.
Voilà pour cet épisode. Une autre fois, ce que cet homme énergique a encore accompli et supporté [parodie d’Hélène décrivant Ulysse, Odyssée 4.242], là-bas, pendant la campagne militaire, il vaut la peine de l’entendre. Il s’était mis à réfléchir et s’était planté debout, depuis l’aube ; or comme il ne trouvait pas la solution à son problème, il ne lâcha pas le morceau, mais resta debout à poursuivre les recherches.
On arriva à midi et les hommes commencèrent à se rendre compte de ce qui se passait. Tout étonnés, ils se passaient le mot que Socrate, depuis l’aube, était planté à réfléchir. Finalement, quelques hommes du corps de troupe des Ioniens, une fois le soir venu, avaient fini de souper et – on était alors en été – sortirent leurs sacs de couchage pour s’installer dans le froid, tout en l’observant pour voir s’il allait rester planté là toute la nuit.
Et lui resta effectivement debout jusque, à l’aube, le soleil se fut levé. Alors il fit sa prière au soleil et s’en alla.
Face aux tenants du pouvoir, les juges n’ont pas toujours la tâche facile. Comment assurer leur indépendance ?
Pour faire son travail, un juge devrait être indépendant ; il ne devrait pas recevoir d’ordre de ceux qui tiennent les manettes du pouvoir. Mais ne soyons pas naïfs : l’indépendance des juges leur confère aussi un pouvoir qui peut corrompre. Comment un juge résiste-t-il à la tentation de tirer un avantage d’une situation qui le place, de facto, au-dessus des autres ? C’est donc aux maîtres de la politique de contrôler les juges.
Autrement dit, le judiciaire cadre le politique, mais le politique tient le sort du judiciaire entre ses mains. Cet équilibre délicat, nécessaire pour garantir les principes de l’État de droit, est souvent remis en question en de nombreux points du globe.
Cambyse, roi de Perse, ne s’est pas embarrassé de telles considérations : pour lui, un juge n’était que le prolongement du bras du roi ; et pour s’assurer l’intégrité d’un juge, il convenait de le terroriser, comme le montre le cas du juge Otanès.
Le père d’Otanès, Sisamnès, avait été l’un des juges royaux sous le règne de Cambyse. Il avait rendu une sentence injuste en échange d’un avantage matériel et le roi l’avait fait égorger et écorcher. Puis Cambyse avait fait découper la peau de Sisamnès en lanières pour tendre le siège sur lequel il était assis pour rendre ses jugements. Pour succéder à Sisamnès, qu’il avait tué et écorché, Cambyse avait alors nommé le fils de Sisamnès, en lui enjoignant de se rappeler sur quel siège il trônait lorsqu’il rendait ses jugements.
Brrrrr… Otanès a dû sentir ses fesses le chatouiller lorsqu’il s’asseyait sur les restes de son père écorché. En soi, l’intention de Cambyse était louable : il voulait avoir un juge intègre. La méthode, en revanche, laisse à désirer car Otanès a marché droit non pas par désir de rendre une justice équitable, mais par crainte de se faire lui aussi découper en lanières.
Le gouvernement de la Nouvelle-Zélande envisage de taxer les pets produits par son abondant bétail. On aurait dû commencer à l’époque de Socrate.
Chériiiiie ! C’est insensé, de l’autre côté de la planète ils ont décidé de taxer les pets du bétail ! Réduire les émissions de méthane permettrait de ralentir le réchauffement du climat.
Vraiment, mon chou ? C’est presque plus cocasse que les Suisses qui voulaient inscrire dans leur constitution un article sur les cornes des vaches.
Mais par les amours de Pasiphaé, où cela va-t-il s’arrêter ? Bientôt, je n’aurai plus le droit de péter sur mon canapé pendant le match de rugby. Et justement, il y a l’équipe de Nouvelle-Zélande qui joue ce soir !
Si tu veux te prendre pour Strepsiade et péter sur le canapé, ne te gêne pas ; mais moi, je crois que je vais aller faire une petite promenade au grand air.
Strepsiade ?
C’est un Athénien à qui Socrate apprend que ses pets fonctionnent un peu comme un orage.
Tiens, le dérèglement climatique était déjà provoqué par les pets dans l’Athènes classique ?
Pas tout à fait… Si tu veux vraiment que je t’explique, il va falloir te retenir un peu tandis que je ressors l’édition flambant neuve des Nuées d’Aristophane que je viens d’acquérir.
Voilà au moins un livre de grec qui ne sent pas les pieds de dinosaure…
Allez, retiens on humour de pré-adolescent et écoute ce petit dialogue.
Strepsiade (à Socrate) – Tu ne m’as encore rien appris sur le fracas et le tonnerre.
Socrate – Tu ne m’as pas écouté ? J’affirme que les nuages sont gorgés d’eau. Quand ils entrent en collision les uns avec les autres, ils sont tellement chargés qu’ils provoquent un bruit de tonnerre.
Strepsiade – Attends, comment veux-tu que je croie cela ?
Socrate – Je vais te l’expliquer en te prenant toi-même pour exemple. Il a déjà dû t’arriver de te bourrer de purée lors de la fête des Panathénées. Ensuite, tu en as eu le ventre tout barbouillé, et soudain tu t’es mis à crépiter comme une mitraillette.
Une mitraillette, voyez-vous ça ? Ton traducteur, il avait forcé sur l’ouzo avant de se mettre au travail ?
Mais je t’assure, mon chou, c’est mon professeur de grec qui…
Ha ! Encore cet incompétent ? Bon, finissons-en avec la purée et les crépitements de mitrailleuse anachronique.
Strepsiade – Oui, par Apollon ! Mon ventre se met tout de suite dans un état terrible, il est tout retourné, et la purée fait un fracas comme le tonnerre, et ça crépite terriblement ! D’abord doucement, papax, papax ; ensuite ça y va, papapapax ; et quand je chie, c’est vraiment le tonnerre, papapapax, comme les nuages.
Socrate – Alors regarde maintenant : avec ton petit ventre de rien du tout, tu en fais des pets ! Or l’air, qui est sans limite, ça n’est pas normal qu’il produise un immense grondement ?
Strepsiade – Ah ! C’est pour ça que les mots tonnerre (brontè en grec) et pet (pordè) se ressemblent !
Mais alors, chérie, si Socrate a déjà démontré qu’il y a un lien entre les pets et les orages, peut-être que le gouvernement néo-zélandais a raison de taxer les pets pour ralentir le changement climatique ?
C’est dommage qu’il n’existe pas un Prix Noble de logique : tu ferais un bon candidat.
Tu crois ? Bon, c’est pas tout, ça : voilà que le rugby va commencer. Bonne promenade !
Avec la disparition d’Elisabeth II, reine d’Angleterre, c’est un monde qui disparaît.
Chériiiie, on vient d’interrompre mon match à la TV pour annoncer la mort de la reine d’Angleterre !
Oui, mon chou, je sais, ils en parlent aussi à la radio. C’est un peu comme si un monde disparaissait.
Ah, ça oui, par les cornes du Minotaure, quand on me coupe le match Manchester Unaïtid – Palézieux-Village, c’est la fin du monde.
Non, je te parle de la reine. La Reine, quoi ! Ça ne te fait rien ? Moi, j’ai l’impression qu’elle a toujours été là, même si elle ne donnait jamais son avis sur rien. Elle a traversé les générations. Je me demande d’ailleurs si elle était de la génération d’or, d’argent, de bronze ou de fer, ou si elle appartenait à la génération des héros.
Ma chérie, je t’ai un peu perdue…
Si tu suivais un peu plus assidûment le blog de mon prof de grec, tu saurais qu’il a déjà parlé – ça fait longtemps – de la génération d’or décrite par Hésiode. Il s’agissait des premiers humains. Or le poète nous parle, non pas d’une seule génération, mais d’une succession de cinq générations. Je me demande par conséquent à quelle génération appartenait la reine d’Angleterre.
Le match est interrompu, je te laisse continuer avec tes histoires. Mais dès que ça reprend, on arrête avec les vieux poèmes !
C’est ça… Si tu me fais une petite place sur le canapé – dégage le paquet de chips, s’il te plaît – je te fais la lecture.
Il sent bizarre, ton livre : tu l’as laissé traîner sur un morceau de Saint Nectaire ?
N’insulte pas les fromages français et écoute plutôt Hésiode.
La première génération des hommes mortels fut d’or ; elle fut créée par les dieux qui habitent sur l’Olympe. Cela se passait du temps de Cronos, tandis qu’il régnait sur le ciel. Les hommes vivaient comme des dieux, sans souci, à l’écart des peines et de la misère. La terrible vieillesse ne les atteignait pas, jambes et bras gardaient toujours la forme, et ils prenaient plaisir dans les fêtes, protégés de tous les maux. Lorsqu’ils mouraient, c’était comme s’ils étaient domptés par le sommeil. Tous les biens leur appartenaient. La terre nourricière produisait ses fruits d’elle-même, en abondance et sans limite. Et les humains vaquaient tranquillement à leurs occupations, entourés de nombreux bienfaits. »
J’ai l’impression d’avoir déjà entendu cela quelque part.
Bien sûr, ce passage figurait déjà dans le blog que je t’ai signalé. Allez, je continue, il nous reste encore quatre générations.
Mais lorsque la terre eut recouvert cette génération, ils devinrent de saints génies du sol : ils écartent les malheurs, sont les gardiens des mortels (…) et distribuent les richesses. Telle fut le rôle royal qu’on leur attribua.
Puis les dieux qui habitent la demeure de l’Olympe créèrent une deuxième génération, bien plus mauvaise que la précédente, la génération d’argent. Ils ne ressemblaient à celle d’or ni par l’aspect ni par le caractère. Cette génération restait en enfance pendant cent ans, chacun entretenu auprès de sa mère chérie, de vrais gamins, à la maison, à regarder le match à la TV.
Même pas vrai ! Hésiode ne connaissait pas la télévision.
Je voulais simplement m’assurer que tu m’écoutais encore. C’est bien, je continue.
Cependant, une fois qu’ils atteignaient l’âge adulte, ils ne vivaient pas longtemps car ils souffraient des maux provoqués par leur propre stupidité. Ils n’étaient en effet pas capables de se retenir de s’infliger des outrages les uns aux autres. De plus, ils ne voulaient pas honorer les immortels ni leur faire des sacrifices sur les autels, alors même que c’est ce qui est prescrit aux hommes selon la coutume. Zeus fils de Cronos, fâché, les ensevelit parce qu’ils n’accordaient pas les honneurs dus aux dieux bienheureux qui habitent l’Olympe. Et une fois que la terre eut recouvert cette génération également, ils reçurent l’appellation de bienheureux mortels souterrains. Deuxième génération, elle n’en reçut pas moins une part d’honneur.
Je ne crois pas que la reine appartenait à la deuxième génération.
… ni à la troisième, tu vas voir.
Or Zeus le père produisit une troisième génération de mortels, en bronze, semblable en rien à celle d’argent. Forts comme des frênes, ils étaient terribles et puissants. Ils s’adonnaient aux douloureux travaux guerriers et aux outrages, ne mangeaient pas des fruits de la terre, mais entretenaient un caractère inflexible et borné. (…) Ils avaient des armes de bronze, des demeures de bronze, et ils travaillaient le bronze (le sombre fer n’existait pas encore). Or de leurs propres mains, ils s’entretuèrent et descendirent dans la sombre demeure d’Hadès le glacial, sans recevoir d’appellation. La sombre mort les saisit, tout violents qu’ils fussent, et ils quittèrent la lumière brillante du soleil.
Brrrrr… ça me fait froid dans le dos, ton histoire.
Tu peux te réchauffer avec une tasse de thé, si tu veux.
Une bière fraîche me réchauffera aussi.
Arrête les bêtises et écoute donc ce qui vient maintenant.
Or lorsque la terre eut recouvert aussi cette génération, Zeus fils de Cronos produisit à nouveau une génération sur la terre nourricière, la quatrième, plus juste et plus brave, la divine génération des héros, que l’on appelle demi-dieux. C’est la génération qui nous précède sur la terre immense. La guerre mauvaise et les batailles effroyables les élimina devant Thèbes aux sept portes, sur la terre de Cadmos, parce qu’ils se battirent pour les troupeaux d’Œdipe. La guerre les fit aussi périr en les envoyant dans leurs navires, au-delà des grandes profondeurs de la mer, à Troie, pour récupérer Hélène à la belle chevelure. (…). Zeus fils de Cronos les établit aux extrémités de la terre, et leur donna nourriture et mode de vie différent des hommes. Et de fait, épargnés par les soucis, ils habitent les Îles des Bienheureux, sur les rives de l’Océan au cours profond, héros heureux, auxquels la terre source de vie offre ses doux fruits en abondance trois fois par année.
Ceux-là, au moins, ils ont l’air de s’en être bien sortis. Tu crois que la reine d’Angleterre a connu cette génération ?
Je ne sais pas, mais je crois qu’Hésiode en vient maintenant à la cinquième génération, et ça doit être celle du Brexit.
Puissé-je ne plus appartenir à la cinquième génération humaine, mais soit mourir avant, soit naître plus tard ! Car aujourd’hui, c’est la génération de fer. Le jour, leurs peines et leurs souffrances ne vont pas s’arrêter ; de nuit, ils se consumeront ; et les dieux leur donneront de vilains soucis. Néanmoins, il y aura des bienfaits qui se mêleront aux maux. Quant à Zeus, il détruira aussi cette génération de mortels lorsque leurs tempes se couvriront de cheveux gris. Le père ne s’accordera pas avec ses enfants, ni les enfants avec leur père, ni l’étranger avec celui qui l’accueille, ni le compagnon avec le compagnon, et il n’y aura plus d’amour entre frères comme dans le passé.
On cessera d’honorer ses parents. Les hommes accableront leurs parents de méchantes paroles, les misérables, sans tenir compte des avertissements des dieux ; et ils pourraient aller jusqu’à refuser de nourrir leurs vieux parents. Personne ne respectera plus ni les serments, ni la justice, ni le bien, et l’on préférera rendre hommage à celui qui fait le mal ou inflige des outrages. La justice est à portée de main ; or il n’y aura plus de pudeur, mais le méchant nuira à celui qui se comporte mieux que lui, en lui tenant des discours pervers, et il se parjurera.
Pauvre Elizabeth ! Voilà le monde qu’elle vient de quitter. Alors, chérie, ton verdict ? A-t-elle connu plusieurs des générations décrites par Hésiode ?
Je dirais qu’elle a connu…
Stop ! Le match reprend, la pause est terminée. Et goooaaal !!!
Le climat se réchauffe – indéniablement – et les églises se vident – c’est une évidence. Faut-il y voir les signes cohérents d’une époque, ou s’agit-il de phénomènes entièrement distincts ?
Il a fait chaud cet été : est-ce le signe d’un phénomène durable ou une simple bosse sur une courbe des climatologues ? De même, les églises se vident : tendance de fond ou épiphénomène ?
Avant de répondre à ces questions, on peut se demander pourquoi lier les deux éléments. En fait, associer le réchauffement climatique aux églises vides revient à considérer que, dans le monde où nous vivons, tout est interconnecté. Certains crieront à la farce intellectuelle, d’autres au contraire sont intimement persuadés d’une certaine cohérence des choses.
Plutarque, en disciple de Platon, appartenait sans aucun doute à la seconde catégorie. Pour lui, tout se tenait et il était légitime de faire des liens entre des phénomènes en apparence disjoints. Dans ses discussions avec d’autres penseurs sur le site de Delphes, le débat était vif. Il s’agissait notamment de déterminer si, à partir de l’observation d’un détail, on pouvait tirer des conclusions plus étendues.
Les personnes présentes s’étonnaient et Démétrios affirma qu’il était aussi ridicule de chercher à tirer des conclusions si générales à partir de petits indices. Ce n’était pas que, comme (disait le poète) Alcée, « ils peignaient un lion à partir d’une griffe », mais à partir d’une mèche et d’une lampe, ils postulaient un changement planétaire et supprimaient toute la science des mathématiques. (…)
Cléombrotos répliqua : « (…) Démétrios, le fait de ne pas accorder à de petits phénomènes la capacité d’annoncer de grands effets est un obstacle pour de nombreux arts : en effet, cela aura pour conséquence d’invalider la démonstration de nombreux raisonnements, et la prédiction de nombreux événements. »
Et pourtant, vous nous faites une démonstration d’importance en disant que les héros se rasaient le corps au rasoir parce que vous êtes tombés chez Homère sur le mot ‘rasoir’. De même, vous affirmez qu’ils pratiquaient le prêt à intérêts parce que, dans un vers, Homère dit ‘avoir une dette ancienne et considérable’ [Odyssée 3.367], et vous en déduisez que ‘avoir une dette’ implique ‘augmenter le capital’. »
Certains interlocuteurs de Plutarque semblent penser qu’il ne faut pas tirer d’un indice un principe général. Et pourtant, c’est ce que nous faisons tous les jours, par exemple en extrapolant certaines idées sur la vie des héros du temps jadis à partir d’un détail. Un rasoir ? C’est que les héros se rasaient, pardieu !
Alors, le réchauffement climatique ? Un été chaud et c’est la fournaise pour mille ans ! Si Plutarque avait été parmi nous aujourd’hui, il nous aurait certainement recommandé d’écouter ce que les spécialistes des sciences naturelles ont à nous dire sur le sujet.
Bon, et les églises qui se vident, quel rapport avec tout cela ? Plutarque – encore lui – constate le même phénomène au sanctuaire de Delphes, où il détient une charge de prêtre au IIe siècle av. J.-C. Il y a encore des gens qui viennent, mais ils sont moins nombreux et ne posent plus que des questions triviales. Les oracles rendus par la Pythie ne sont plus prononcés en vers. Quant aux autres sanctuaires oraculaires de la région, ils sont déserts. Faut-il y voir un signe des temps ? Les hommes sont-ils en train d’abandonner les dieux, ou serait-ce l’inverse ?
Face à ces questions, Plutarque – par la bouche de son maître Ammonios – cherche à démontrer que la désaffectation des oracles grecs n’a rien d’alarmant. Elle serait due à la dépopulation de la Grèce ; dans des endroits devenus désormais déserts, à quoi bon entretenir un oracle ?
« Les actions des dieux sont déterminées par la mesure, l’adéquation, l’absence absolue d’excès et l’autonomie en toute chose. Or, en partant de ce postulat, on pourrait affirmer que, dans la dépopulation générale provoquée par les soulèvements et les guerres du passé dans pratiquement toute la terre habitée, la Grèce en a eu plus que sa part. Aujourd’hui, tout le pays pourrait à peine fournir trois mille hoplites, ce qui correspond à ce que la seule cité de Mégare a envoyé à la bataille de Platées [479 av. J.-C.]. Le fait qu’Apollon ait abandonné de nombreux oracles n’est donc rien d’autre qu’une manière de pointer du doigt le fait que la Grèce est devenue un désert.
Bref, voilà donc comment l’on pourrait donner un signe précis de sa capacité de raisonnement. Car qui tirerait un bénéfice du fait qu’il y avait autrefois un oracle à Tégyres, ou au Ptoïon, où pendant une partie de la journée on ne rencontre qu’un berger ? »
Dans un monde qui changeait considérablement, Plutarque s’est efforcé de trouver un semblant d’ordre. Une présence rassurante pour nous aujourd’hui, alors que nous avons tous besoin de repères.
Tu trouves, mon chou ? Pour ma part, je trouve qu’il fait encore bien pour son âge.
Par le dentier de Kronos, parlons-en, de son âge : il va fêter ses 80 ans en novembre, et s’il se présente pour un second mandat, il pourrait bien quitter la présidence à 86 ans. Tu trouves que c’est un âge pour gouverner un pays ?
Tout est relatif. Son principal rival a déjà célébré ses 76 ans ; en cas d’élection, il terminerait à 82 ans, ce n’est guère mieux.
Mais enfin, ils ne sont pas capables de trouver des candidats plus jeunes ? Les Français ont bien élu un président de moitié plus jeune, non ?
Tu as raison, mais le pouvoir est une drogue qui crée une puissante dépendance. Quand on est au sommet de la pyramide, il est difficile d’en redescendre. Plutarque avait déjà relevé le phénomène.
Ah nooooon ! Moi qui me réjouissais de passer la soirée devant Plus Belle la Vie, voilà que tu viens tout gâcher avec Plutarque.
Parce que Plus Belle la Vie t’apporte des réponses sur les questions profondes que tu te poses à propos de la politique américaine ?
Humpf ! Que dis le résumé de l’épisode de ce soir ? Ah, voici : « Patrick et Boher rêvent de starification pour leur bébé. Vidal rencontre la mystérieuse Vanessa. La situation reste tendue entre Emma et Baptiste. »
Pas super-stimulant, tout ça… Je crois qu’il va falloir chauffer la salle de spectacle avec un bon coup de Plutarque. Tiens, laisse-toi tomber sur le canapé, tu épargneras quelques calories sous l’effet de la gravité. Voilà. Maintenant que tu es en place, saisis ce sachet de chips dans la main gauche, prends cette cannette de l’autre main, et laisse-toi emporter par la douce voix de Plutarque.
Ah, je sens que je vais m’endormir avant que tu commences à lire…
Allez, un petit effort ! Plutarque commence par défendre l’idée selon laquelle ceux qui ont fait de la politique sont encore bons pour le service.
Personne n’a jamais vu une abeille se transformer en bourdon sous l’effet de la vieillesse, comme certains le demandent aux hommes politiques : au moment où ils ont dépassé le sommet de leurs facultés, on leur propose en effet de rester à la maison et d’y passer leur temps assis ou couchés à table, laissant leur capacité d’agir s’éteindre sous l’effet de la paresse, comme le fer se laisse couvrir de rouille. Caton disait en effet que la vieillesse apporte déjà son lot de difficultés, sans qu’il faille y ajouter la honte qui découle du vice.
Il faut concéder un point à Plutarque : certains politiciens gardent l’esprit alerte jusqu’à un âge avancé et ce serait un gros gâchis de ne pas profiter de leur expérience !
Un peu comme toi : avec tout ce que tu sais sur Plus Belle la Vie, ce n’est pas le moment de renoncer à regarder le dernier épisode.
Ne te moque pas de moi… D’ailleurs, ton petit Plutarque, il pensait vraiment que Joe Biden devait solliciter un nouveau mandat de président à plus de 80 ans ?
Un jour, je t’expliquerai le sens du mot ‘anachronisme’. En attendant, je peux te dire que c’est plus compliqué que cela : pour Plutarque, passé un certain âge, les politiciens devaient renoncer à l’activité physique pour se concentrer sur l’activité de conseil. Finies les campagnes militaires !
« Comment donc ? », pourrait-on me dire, « n’entendons-nous pas dans une comédie un soldat dire ‘Ma chevelure blanche me prive désormais de la possibilité de gagner ma solde’ ? » Bien entendu, mon cher. Les serviteurs d’Arès devraient en effet être dans la force de l’âge, puisqu’ils ‘s’adonnent aux travaux douloureux de la guerre’ [Iliade 8.453]. Or le vieillard, même s’il cache ses cheveux gris sous un casque, ‘ses membres s’engourdissent à son insu’ [Iliade 19.165] et sa force fait défaut à un ardeur. Cependant, ceux qui se mettent au service du Zeus du Conseil, de l’Agora et de la Cité, nous ne leur demandons pas de réaliser des exploits avec leurs pieds ou leurs mains, mais nous attendons d’eux un conseil, de la prévoyance et de l’éloquence. Cette dernière de doit pas produire une tempête et du fracas parmi le peuple, mais elle doit offrir du bon sens, de la prudence et de la sécurité. Chez ces gens-là, les cheveux blancs et les rides dont on se moque témoignent de leur expérience ; ils ajoutent à la force de persuasion et lui donnent une plus grande crédibilité. Car la jeunesse est faite pour obéir, et la vieillesse, pour commander !
C’est bizarre, plus je vieillis et plus je suis d’accord avec Plutarque…
Alors tu vois, Joe Biden devrait songer à passer la main, au lieu de s’accrocher au pouvoir. Au lieu de jouer au Commander-in-Chief, il pourrait faire profiter les jeunes de son expérience.
Pour une fois, nous sommes d’accord. C’est dans ces moments que j’ai l’impression qu’elle est plus belle, la vie.
Faut-il craindre la mort ? Ou faut-il la désirer ? Le point de vue d’un philosophe sur la question.
Chériiiiie ! Je suis déchiré : je n’ai plus goût à la vie, mais je crains de mourir.
Oulalaaaaa, mon pauvre chou ! L’heure est grave : soit tu t’installes dans ton **** favori pour siroter une bonne **** bien fraîche en regardant le **** de ce soir, soit il va falloir envisager une cure d’Épicure.
Très drôle, le jeu de mots… On ne pourrait pas faire les deux ?
Au fait, pourquoi pas ? Commençons par Épicure et cela te donnera un peu d’énergie pour affronter la défaite de ton équipe favorite. D’ailleurs, ça tombe bien car je viens de retrouver, sous une pile de canettes vides, une magnifique édition de la Lettre à Ménécée d’Épicure. Elle est un peu souillée par des traces de doigts gras – ça doit être tes chips – mais nous devrions nous en sortir. Commençons donc par ta peur de mourir.
Habitue-toi à considérer que la mort n’est rien pour nous. En effet, tout bien et tout mal dépend de notre perception ; or la mort correspond à une privation de perception. C’est pourquoi une compréhension correcte du fait que la mort n’est rien pour nous rend la dimension mortelle de la vie agréable : elle ne nous impose pas une durée infinie, mais elle nous délivre du désir de l’immortalité.
C’est plus compliqué que les règles du cricket, ton histoire…
Mais pas du tout : quand tu es mort, tu ne te rends pas compte que tu es mort, justement parce que tu ne sens plus rien ! Et en plus, mourir t’évite de devoir traîner ta vie pour l’éternité.
C’est vrai que, une fois mort, je ne devrais plus rien sentir.
Allez, je continue.
En effet, il n’y a rien de terrible dans le fait de vivre pour celui qui a véritablement compris qu’il n’y a non plus rien de terrible dans le fait de ne pas vivre. Par conséquent, il est vain de dire qu’on craint la mort, non pas parce qu’elle causera de la souffrance lorsqu’elle est là, mais parce qu’elle cause de la souffrance du fait qu’elle va survenir : car ce qui est présent ne nous trouble pas, et si on l’attend, cela nous cause une crainte vaine.
Par les trois têtes de la Chimère, je ne suis pas fait pour la philosophie !
Attends, Épicure va clarifier cela.
Le plus effrayant des maux, la mort, n’est rien pour nous, puisque précisément lorsque nous existons, la mort n’est pas là, et lorsque la mort est là, alors nous, nous n’existons pas. Par conséquent, elle n’est rien ni pour les vivants, ni pour les morts, puisque justement pour les uns elle n’existe pas, et les autres n’existent plus.
Ah ! Cette fois, j’ai compris ! Quand je suis vivant, la mort n’est pas là ; et quand la mort est là, je ne suis plus en état de le savoir, donc ça ne fait plus rien.
Tu vois, quand tu fais un effort, ça va tout seul.
Mais attends : si je n’ai plus peur de la mort, et que j’en ai assez de la vie, qu’est-ce qui va me retenir d’aller me jeter du haut d’une falaise ? Il est un peu dangereux, ton Épicure, non ?
Écoute la suite et tu seras rassuré.
Cependant la plupart des gens dans certains cas fuient la mort comme le plus grand des malheurs, et dans d’autres cas ils la choisissent comme si elle était un soulagement des malheurs de la vie. Or le sage ne repousse pas la vie, et il ne craint pas de ne pas vivre.
Là, je n’ai pas compris…
C’est simple : il y a des gens qui ont peur de la mort, mais nous venons de trouver un truc pour leur ôter cette peur ; et pour les autres, qui en ont assez de vivre, il y aurait effectivement la tentation du suicide. Or Épicure dit qu’il ne faut avoir peur ni de vivre, ni de mourir.
Ah oui, c’est assez fort. Et tous tes Grecs étaient d’accord avec cette manière de voir les choses ?
Pas du tout ! Pour Épicure, lorsqu’on meurt, on n’existe plus. Pour Platon, par exemple, c’était impensable car il était persuadé de l’immortalité de l’âme. Donc il ne fallait pas pas forcément craindre la mort, mais il fallait s’y préparer parce que, après la mort, ce ne serait pas fini.
Et voilà, maintenant j’ai de nouveau peur de mourir… Je ne vois qu’une solution : appliquer l’autre remède. Il est à quelle heure, ce match ?