Trop vieux pour gouverner ?

Avant les élections de mi-mandat aux États-Unis, certains se posent déjà la question de la survie politique d’un vénérable vieillard, Joe Biden.

  • Chériiiie ! Regarde-moi ça, les Américains sont gouvernés par un vieux débris !
  • Tu trouves, mon chou ? Pour ma part, je trouve qu’il fait encore bien pour son âge.
  • Par le dentier de Kronos, parlons-en, de son âge : il va fêter ses 80 ans en novembre, et s’il se présente pour un second mandat, il pourrait bien quitter la présidence à 86 ans. Tu trouves que c’est un âge pour gouverner un pays ?
  • Tout est relatif. Son principal rival a déjà célébré ses 76 ans ; en cas d’élection, il terminerait à 82 ans, ce n’est guère mieux.
  • Mais enfin, ils ne sont pas capables de trouver des candidats plus jeunes ? Les Français ont bien élu un président de moitié plus jeune, non ?
  • Tu as raison, mais le pouvoir est une drogue qui crée une puissante dépendance. Quand on est au sommet de la pyramide, il est difficile d’en redescendre. Plutarque avait déjà relevé le phénomène.
  • Ah nooooon ! Moi qui me réjouissais de passer la soirée devant Plus Belle la Vie, voilà que tu viens tout gâcher avec Plutarque.
  • Parce que Plus Belle la Vie t’apporte des réponses sur les questions profondes que tu te poses à propos de la politique américaine ?
  • Humpf ! Que dis le résumé de l’épisode de ce soir ? Ah, voici : « Patrick et Boher rêvent de starification pour leur bébé. Vidal rencontre la mystérieuse Vanessa. La situation reste tendue entre Emma et Baptiste. »
  • Pas super-stimulant, tout ça… Je crois qu’il va falloir chauffer la salle de spectacle avec un bon coup de Plutarque. Tiens, laisse-toi tomber sur le canapé, tu épargneras quelques calories sous l’effet de la gravité. Voilà. Maintenant que tu es en place, saisis ce sachet de chips dans la main gauche, prends cette cannette de l’autre main, et laisse-toi emporter par la douce voix de Plutarque.
  • Ah, je sens que je vais m’endormir avant que tu commences à lire…
  • Allez, un petit effort ! Plutarque commence par défendre l’idée selon laquelle ceux qui ont fait de la politique sont encore bons pour le service.

Personne n’a jamais vu une abeille se transformer en bourdon sous l’effet de la vieillesse, comme certains le demandent aux hommes politiques : au moment où ils ont dépassé le sommet de leurs facultés, on leur propose en effet de rester à la maison et d’y passer leur temps assis ou couchés à table, laissant leur capacité d’agir s’éteindre sous l’effet de la paresse, comme le fer se laisse couvrir de rouille. Caton disait en effet que la vieillesse apporte déjà son lot de difficultés, sans qu’il faille y ajouter la honte qui découle du vice.

Plutarque, Si la politique est l’affaire des vieillards 1 (783f – 784a)

  • Il faut concéder un point à Plutarque : certains politiciens gardent l’esprit alerte jusqu’à un âge avancé et ce serait un gros gâchis de ne pas profiter de leur expérience !
  • Un peu comme toi : avec tout ce que tu sais sur Plus Belle la Vie, ce n’est pas le moment de renoncer à regarder le dernier épisode.
  • Ne te moque pas de moi… D’ailleurs, ton petit Plutarque, il pensait vraiment que Joe Biden devait solliciter un nouveau mandat de président à plus de 80 ans ?
  • Un jour, je t’expliquerai le sens du mot ‘anachronisme’. En attendant, je peux te dire que c’est plus compliqué que cela : pour Plutarque, passé un certain âge, les politiciens devaient renoncer à l’activité physique pour se concentrer sur l’activité de conseil. Finies les campagnes militaires !

« Comment donc ? », pourrait-on me dire, « n’entendons-nous pas dans une comédie un soldat dire ‘Ma chevelure blanche me prive désormais de la possibilité de gagner ma solde’ ? » Bien entendu, mon cher. Les serviteurs d’Arès devraient en effet être dans la force de l’âge, puisqu’ils ‘s’adonnent aux travaux douloureux de la guerre’ [Iliade 8.453]. Or le vieillard, même s’il cache ses cheveux gris sous un casque, ‘ses membres s’engourdissent à son insu’ [Iliade 19.165] et sa force fait défaut à un ardeur. Cependant, ceux qui se mettent au service du Zeus du Conseil, de l’Agora et de la Cité, nous ne leur demandons pas de réaliser des exploits avec leurs pieds ou leurs mains, mais nous attendons d’eux un conseil, de la prévoyance et de l’éloquence. Cette dernière de doit pas produire une tempête et du fracas parmi le peuple, mais elle doit offrir du bon sens, de la prudence et de la sécurité. Chez ces gens-là, les cheveux blancs et les rides dont on se moque témoignent de leur expérience ; ils ajoutent à la force de persuasion et lui donnent une plus grande crédibilité. Car la jeunesse est faite pour obéir, et la vieillesse, pour commander !

Plutarque, Si la politique est l’affaire des vieillards 10 (789c – e)

  • C’est bizarre, plus je vieillis et plus je suis d’accord avec Plutarque…
  • Alors tu vois, Joe Biden devrait songer à passer la main, au lieu de s’accrocher au pouvoir. Au lieu de jouer au Commander-in-Chief, il pourrait faire profiter les jeunes de son expérience.
  • Pour une fois, nous sommes d’accord. C’est dans ces moments que j’ai l’impression qu’elle est plus belle, la vie.

Trump, 2e (et dernier) épisode : le politicien fou

Trump in AmesDonald Trump est-il fou ? Et la folie ne serait-elle pas un instrument de communication politique, comme l’a démontré l’Athénien Solon ?

Candidat à l’élection présidentielle américaine, Donald Trump multiplie les déclarations à l’emporte-pièce, au point où l’on commence à s’interroger sur sa santé mentale.

C’est du pain bénit pour son adversaire : plus on aiguillonne Trump, et plus il s’enfonce dans des propos outranciers.

On peut toutefois se demander si la folie n’est pas aussi un instrument de communication politique. Au VIe siècle av. J.-C., l’Athénien Solon se serait servi de cette arme pour convaincre ses concitoyens de poursuivre une guerre longue et pénible contre leurs voisins de Mégare à propos d’Égine, une île située en face d’Athènes.

C’est à nouveau Plutarque, infatigable érudit, qui nous renseigne sur cet épisode marquant de la vie politique athénienne.

« [Les Athéniens] menaient une guerre longue et ardue contre les Mégariens à propos de l’île de Salamine. Lassés, ils promulguèrent une loi interdisant à quiconque, sous peine de mort, d’écrire ou de dire qu’il fallait revendiquer Salamine.

Solon ne supportait pas un tel manque de résolution, et il constatait que de nombreux jeunes demandaient que l’on reprenne le combat, mais qu’ils n’osaient pas prendre les choses en main à cause de cette loi. Il fit donc semblant d’avoir perdu la tête, et des gens de sa maison firent courir le bruit dans la cité qu’il était devenu fou.

De son côté, il composa en secret des poèmes élégiaques et les apprit par cœur pour pouvoir les réciter. Et voici que, tout à coup, il s’élança sur la place publique avec un petit chapeau en forme d’entonnoir sur la tête.

Une foule nombreuse se rassembla ; Solon grimpa sur le rocher d’où s’exprimait le crieur public et chanta son poème en vers élégiaques. Voici le début de ce poème :

Me voici, tel un crieur venu depuis l’aimable Salamine, pour chanter un poème plutôt qu’un discours !

Ce poème s’intitule Salamine et il fait cent vers ; il est très bien écrit.

Une fois que Solon eut terminé de chanter, ses amis manifestèrent leur enthousiasme. Pisistrate, notamment, encouragea ses concitoyens et leur enjoignit de se laisser convaincre par celui qui venait de s’exprimer. Faisant machine arrière, ils abolirent la loi, reprirent le combat et donnèrent le commandement à Solon. »

[voir Plutarque, Vie de Solon 8.1-3]

Comme quoi feindre la folie peut parfois aider ceux qui font de la politique. Solon joue au fou et parvient ainsi à contourner la censure imposée par une loi. Dans le cas de Donald Trump, toutefois, on peut se demander s’il fait vraiment semblant…

[image : Donald Trump attendant le châtiment de Zeus…]

Trump, 1er épisode : hommage à la mère d’un soldat tombé au combat

trump1En attaquant la mère d’un soldat américain tombé au service de son pays, Donald Trump semble ignorer le poids que portent les mères dans les conflits armés. Retour sur les mères spartiates, particulièrement dévouées à leur patrie.

Donald Trump enchaîne joyeusement les gaffes et les énormités, mais il parvient encore à nous surprendre. Dommage que ce ne soit pas toujours drôle… Récemment, il s’en est pris à la mère d’un soldat américain tombé en Irak : debout en silence à côté de son mari lors de la convention démocrate, elle n’aurait rien eu à dire, ‘peut-être qu’elle n’était pas autorisée à dire quoi que ce soit.’

Ne soyons pas naïfs : la famille Khan a vraisemblablement été instrumentalisée aussi bien par les démocrates que par les républicains américains ; de plus, personne ne demande ici d’approuver l’action militaire américaine en Irak. Cependant, lorsqu’un candidat à l’investiture présidentielle déclare avoir travaillé dur et consenti de gros sacrifices, le malaise est palpable : peut-il seulement comprendre ce que représente le sacrifice d’une mère qui perd son fils dans une guerre ? face au silence et à la douleur de cette mère, n’a-t-il pas manqué une belle occasion de se taire ?

De tous temps, les mères ont essuyé les dégâts collatéraux des guerres. À la chute de Troie, la vieille Hécube exprime sa douleur face à la folie guerrière des hommes. Euripide en témoigne dans deux tragédies poignantes, Hécube et Les Troyennes. La seconde a d’ailleurs fait l’objet d’une reprise par Jean-Paul Sartre, qui suscite encore beaucoup d’intérêt aujourd’hui. Mais ce sont sans aucun doute les mères spartiates qui éveillaient, parmi les Grecs, la plus grande admiration pour les sacrifices qu’elles étaient prêtes à consentir.

Plutarque est une source presque intarissable d’anecdotes sur le dévouement des mères spartiates. Il les a rassemblées dans ses Apophtegmes de femmes spartiates. Pour ceux qui trouvent le mot ‘apophtegme’ trop compliqué, remplacez par ‘déclarations’. Voici donc une déclaration attribuée à une mère qui faisait ses adieux à son fils avant qu’il ne parte au combat :

« [Une mère] remit en outre à son fils son bouclier et l’encouragea en disant : ‘Mon fils, (reviens) soit avec ton bouclier, soit dessus.’ »

[voir Plutarque, Apophtegmes de femmes spartiates 241f]

Le bouclier aurait donc pu servir de brancard pour rapporter le corps d’un soldat ; mais il était exclu que le fils revienne sans son bouclier, ce qui aurait signifié une fuite honteuse.

Si l’on en croit Plutarque, les mères spartiates ne se contentaient pas de subir le sacrifice ultime : au besoin, elles auraient été prêtes à l’accomplir de leurs propres mains pour sauver l’honneur de la famille et de la patrie.

« [Une mère] laconienne [de Sparte] mit à mort son fils parce qu’il avait abandonné son poste et s’était ainsi rendu indigne de la patrie. Elle dit : ‘Ce rejeton n’est pas de moi.’

On cite d’ailleurs cette épigramme :

Damatrios avait enfreint les lois et sa mère le mit à mort, elle une Lacédémonienne, lui un Lacédémonien. Brandissant une épée devant elle, et grinçant des dents, elle prononça des mots typiques d’une femme laconienne : ‘Mauvais rejeton, file à l’ombre, et que [le fleuve] Eurotas, par haine de toi, n’y coule pas, même pour les biches farouches. Avorton inutile, mauvaise portion, va-t-en dans l’Hadès, va-t-en ! Ce qui n’est pas digne de Sparte, je ne l’ai pas non plus mis au monde.’ »

[voir Plutarque, Apophtegmes de femmes spartiates 241a, combiné avec l’Anthologie Palatine 7.433]

Si les Grecs ont fait circuler ces anecdotes sur les mères spartiates, c’est précisément parce que de tels comportements étaient considérés comme extrêmes. Pour les autres Grecs, l’horreur de la guerre résidait dans le déchirement que devaient ressentir les mères, à la fois désireuses de contribuer à la défense de leur cité et anéanties par la perte d’un fils qu’elles avaient porté dans leurs entrailles. Mais ce dernier sentiment, ni Donald Trump ni aucun autre homme ne pourra entièrement le saisir.

En fin de compte, faut-il simplement se résigner à considérer Trump comme un fou ? Rendez-vous dans une semaine, avec un second épisode sur la trumpitude.

[image : Donald Trump]