4000 semaines, c’est la durée approximative d’une vie humaine.
- Chériiiiie, la semaine a passé tellement vite !
- Ce n’est pas grave, mon chou, il t’en reste 3999.
- Comme cela, 3999 ?
- Oui, une vie humaine dure environ 4000 semaines, un peu moins si l’on reste comme toi avachi sur le canapé.
- 4000 semaines ? Bigre, c’est court… Et dire que la semaine passée je n’ai regardé que douze matchs de hockey et seize descentes à ski. Mais au fait, qui t’a parlé de ces 4000 semaines ?
- J’ai trouvé cela dans un livre qui vient de paraître. En gros, l’auteur recommande d’arrêter de courir après le temps parce que, de toute manière, nous avons perdu d’avance.
- Aaaaah, voilà une pensée nouvelle ! Je parie que tes Grecs n’y avaient jamais songé.
- En fait, si : d’après Hérodote, l’Athénien Solon aurait fait un calcul similaire, mais en jours, pas en semaines.
- Nom d’un hécatonchire, ils pensent à tout, tes Grecs. Dépêche-toi de me lire Hérodote, le slalom géant va commencer d’une minute à l’autre et j’ai des priorités dans la vie, moi.
- Allez, un petit effort : écoute ce que Solon raconte à Crésus, roi de Lydie.
Sur la durée, il est possible d’assister à de nombreux événements indésirables, et d’en subir de nombreux aussi. J’établis en effet la limite de la vie humaine à septante ans.
- Stop ! C’est quoi, cette histoire ? Il dit ‘septante’, Solon, pas ‘soixante-dix’ ?
- Peut-être a-t-il fait un séjour d’études en Suisse ? Mais si tu m’interromps, tu vas manquer le slalom.
Ces septante ans représentent vingt-cinq mille deux cents jours, sans compter les jours intercalaires. Plus précisément, si l’on veut rallonger d’un mois tous les deux ans, pour que les saisons soient correctement alignées, cela fait, en plus des septante ans, trente-cinq mois intercalaires, soit mille cinquante jours. Le total des septante ans fait donc vingt-six mille deux-cent-cinquante jours, et aucun d’entre eux n’apporte la même chose qu’un autre. Ainsi donc, Crésus, tout homme n’est que le fruit de ce qui lui advient.
- Ah ! Je préfère compter en jours qu’en semaines, cela me donne l’impression qu’il y en a plus.
- Mais dans le fond, la brièveté de la vie humaine ne t’importe pas vraiment ?
- Bien sûr que si, mais tu m’embrouilles avec tes chiffres compliqués.
- Si tu veux quelque chose de plus simple, il faut que je te lise un autre passage d’Hérodote. Il s’agit cette fois-ci de Xerxès, le roi de Perse, qui a lancé une immense expédition militaire pour attaquer la Grèce. Pour passer de son territoire vers la Grèce, il doit franchir l’Hellespont, le détroit des Dardanelles si tu préfères. Il est donc sur le rivage, dans une ville qui s’appelle Abydos.
Arrivé au milieu d’Abydos, Xerxès voulut contempler son armée dans toute son étendue. On avait installé sur une colline, exprès pour lui, un siège de pierre blanche, construit par les Abydéniens sur un ordre que le roi avait donné plus tôt.
C’est là qu’il était ainsi assis. Portant son regard sur le rivage [de l’Hellespont], il contemplait à la fois l’armée de terre et la flotte ; et tandis qu’il les regardait, il désira que les navires fissent une course. On l’organisa et ce furent les Phéniciens de Sidon qui l’emportèrent. Xerxès fut content aussi bien de la course que de l’armée.
- Dis, mon chou, tu m’écoutes ?
- Hein ? Ah oui, bien sûr. Xerxès est content de la course, un peu comme moi après le slalom géant.
- Tiens bon, nous arrivons au passage le plus intéressant.
Lorsqu’il vit tout l’Hellespont couvert par les navires, et toutes les rives et les plaines des Abydéniens remplies d’hommes, alors Xerxès se considéra comme heureux ; mais après cela il fondit en larmes.
Son oncle Artabane s’en aperçut. C’était lui qui, initialement, avait pris la liberté de conseiller à Xerxès de ne pas lancer d’expédition militaire contre la Grèce. Cet homme donc, constatant que Xerxès s’était mis à pleurer, lui demanda : « Ô roi, quelle différence entre ton comportement de maintenant et de quelques instants auparavant ! Tu te considérais comme heureux, et maintenant tu pleures… »
Xerxès lui dit : « J’ai été pris de compassion lorsque j’ai calculé combien toute vie humaine était brève : il y a tous ces gens, si nombreux, et dans cent ans pas un seul d’entre eux ne sera encore vivant ! »
- Tu vois, mon chou, la vie est brève et il faut arrêter de courir après le temps. De toute manière, nous ne serons pas là pour très longtemps. Dis, mon chou, tu m’écoutes ?
- Rhhhhhhooooonnnnn…