Alcibiade, issu d’une richissime famille athénienne, se passionnait pour les courses de chars (un peu la Porsche de l’époque). Un fils à papa comme on en fait encore aujourd’hui.
Tant qu’il y aura beaucoup d’argent, les fils à papa ont de beaux jours devant eux. Alcibiade était plutôt un petit-fils à grand-maman, puisque c’est par sa grand-mère Deinomaché qu’il se rattachait au puissant et richissime clan des Alcméonides. Après la mort de son papa en 447 av. J.-C., le jeune Alcibiade fut placé sous la protection de son oncle Périclès.
Fortuné, beau, énergique, arrogant, ambitieux, Alcibiade avait tout pour réaliser une carrière fulgurante – et pour agacer ses concitoyens à Athènes. Dans le Banquet, Platon nous le présente comme un fêtard superficiel qui essaie en vain de se faire draguer par Socrate. La tirelire du jeune homme devait se remplir sans trop d’efforts et Alcibiade, soucieux de projeter dans la cité l’image d’un gagnant, s’était passionné pour les courses de chars. Aujourd’hui, les fils à papa se font offrir une Porsche et, s’ils ont vraiment beaucoup de moyens, ils peuvent s’essayer à la Formule 1. Dans la Grèce du Ve siècle, à défaut de Porsche, on confiait à un cocher professionnel la conduite d’un char de course tiré par quatre chevaux.
Alcibiade entretenait ainsi une véritable écurie de course afin d’aligner plusieurs quadriges dans les jeux les plus prestigieux de la Grèce, à commencer par les Jeux Olympiques. C’est là que, en 416 av. J.-C., il a fait courir simultanément sept attelages ! Devant une telle puissance de feu, que pouvaient ses concurrents ? Plutarque, un demi-millénaire après l’événement, nous fait un résumé.
L’écurie d’Alcibiade devint célèbre, notamment par le nombre d’attelages qu’il entretenait. En effet, à part lui, personne – ni simple particulier ni roi – n’engagea simultanément sept chars lors des Jeux Olympiques. Or le fait qu’il ait remporté la première place, la deuxième et la quatrième (d’après Thucydide ; Euripide parle de la troisième) surpasse en éclat et en gloire toutes les ambitions.
Voici ce qu’Euripide dit dans son chant :
« C’est toi que je célébrerai par mon chant, fils de Clinias ! Une victoire, c’est déjà beau ; mais le plus beau – et aucun autre Grec n’y est parvenu – c’est avoir concouru pour remporter la première, la deuxième et la troisième place, et de revenir deux fois, sans efforts, pour te faire acclamer par le héraut tandis que tu recevais la couronne d’olivier. »
Plutarque, Vie d’Alcibiade 11.1-3
Le succès d’Alcibiade n’a pas manqué de lui monter à la tête. Il en vient alors à croire à une communauté de destins entre sa propre personne et l’État athénien dans son ensemble. S’il gagne, alors Athènes peut gagner, pour autant qu’on lui confie le commandement militaire. C’est du moins ce que suggère l’historien Thucydide, contemporain des événements, en citant un discours qu’il place dans la bouche d’Alcibiade.
« C’est à moi plus qu’à d’autres, mes concitoyens, qu’il convient d’avoir le commandement (car il faut bien que je commence par ce point, puisque Nicias m’a provoqué), et en même temps je pense être digne de cette charge. Quant aux reproches qu’on m’adresse, ils sont source de gloire pour mes ancêtres et pour moi-même, et ils servent aussi les intérêts de notre patrie.
Les Grecs, en effet, se sont fait une idée de notre puissance qui dépassait la réalité à cause de ma participation éclatante aux Jeux Olympiques (avant cela, ils pensaient que nous étions épuisés par la guerre) : j’ai en effet engagé sept chars, un chiffre qu’aucun particulier n’a atteint dans le passé, et j’ai remporté la première place, ainsi que la deuxième et la quatrième. Ensuite, j’ai tout arrangé pour célébrer dignement cette victoire. À part l’honneur qu’on accorde d’ordinaire à de tels exploits, le simple fait de l’avoir réalisé témoigne déjà de notre puissance. »
Gonflé, le fils à papa : si les adversaires d’Athènes respectent la cité, ce serait à cause du prestige des victoires obtenues par ce jeune arrogant. Athènes ne saurait être exsangue si un Alcméonide parvient à écraser tous ses concurrents aux Jeux Olympiques.
Qu’on se rassure : après avoir vivement impressionné ses concitoyens, Alcibiade poussera le bouchon trop loin et tombera en disgrâce. On le verra osciller entre Sparte, la Perse, avant qu’il ne retourne brièvement à Athènes, pour être finalement forcé à repartir, et il sera liquidé en 404. Comme quoi, pour parodier Corneille, « aux âmes bien nées, la valeur attend parfois le nombre des années. »