La Grande Catastrophe fait référence à l’expulsion des Grecs d’Asie Mineure. Mais que veut donc dire le mot « catastrophe » ?
Le 24 juillet 2023, on a commémoré tant bien que mal la signature du Traité de Lausanne, un accord qui devait régler non seulement le statut de la Turquie moderne, mais aussi celui des peuples liés de près ou de loin à cette république naissante : Kurdes, Arméniens, et aussi Grecs d’Asie Mineure. Ce traité a laissé de profondes blessures chez tous ceux qui se sont sentis ignorés, voire trahis par les grandes puissances de l’époque, et leurs descendants en portent encore la marque aujourd’hui. Les plaies ne vont pas se refermer de sitôt.
En Grèce, on évoque encore la Megali Katastrophi, la « grande catastrophe » qui a mené à un échange de populations de grande ampleur : aux termes du Traité de Lausanne, 1.5 millions de Grecs ont été expulsés de la côte d’Asie Mineure, tandis que 500 000 Turcs vivant en Grèce étaient contraint de rejoindre la Turquie. Une année plus tôt, Smyrne avait été livrée aux flammes et les réfugiés arrivés à Athènes ont transformé la ville et ses environs.
Ainsi, le Traité de Lausanne a mis fin à une présence grecque en Asie Mineure remontant au début du premier millénaire avant l’ère chrétienne. C’est l’occasion de s’interroger sur le sens même du mot καταστροφή / katastrophê : avant de signifier « catastrophe », il désigne en effet tout processus de retournement, et en particulier la conquête militaire.
L’historien Thucydide évoque la période où, selon lui, les Grecs se sont mis à développer une flotte militaire, entre la fin du VIe et le début du Ve siècle. Dans ce contexte, il fait usage aussi bien du verbe katastrephô que du substantif katastrophê.
« Voilà donc quel était la situation en ce qui concerne le développement de la flotte parmi les Grecs, aussi bien celle des temps anciens que celle qui s’est constituée plus tard. Or ceux qui consacraient leurs efforts à ces activités acquirent une puissance non négligeable, à la fois grâce à leurs revenus et par le commandement qu’ils s’assuraient sur les autres. En effet, en faisant voile contre les îles (c’était particulièrement le cas de ceux qui ne possédaient pas de territoire suffisant pour vivre), ils les soumettaient à leur pouvoir [katastrephonto !].
Toutefois, il n’y avait pas de guerre sur terre qui aurait permis un accroissement de pouvoir. Les guerres qui eurent lieu se firent contre des voisins directs, et les Grecs ne lancèrent pas d’expédition à l’extérieur depuis leur propre territoire en vue de soumettre d’autres à leur pouvoir [katastrophêi !]. »
Pour Thucydide, la katastrophê n’est donc pas une catastrophe, ni une destruction à proprement parler : il s’agit d’une action menée par un ennemi qui soumet un territoire et son peuple à son pouvoir. La Megali Katastrophi des Grecs d’Asie Mineure était un grand malheur, une catastrophe au sens moderne du terme ; elle était aussi, au sens ancien, une opération par laquelle une puissance militaire a mis la main sur la côte d’Asie Mineure. Deux visions se sont opposées : d’une part, la Grande Idée qui visait à la création d’un État regroupant tous les Grecs dans un État-nation, d’autre part le projet d’une République Turque rendue aussi homogène que possible par l’expulsion des éléments considérés comme étrangers. Difficile de réconcilier les deux…