Médecine personnalisée : un pas de plus vers l’immortalité

R-20111109-0061.jpgLa « médecine personnalisée » constitue un progrès considérable dans le domaine de la santé. L’exemple d’Asclépios nous rappelle cependant que, à chercher l’immortalité, l’homme finit parfois foudroyé.

Le concept de médecine personnalisée représente – sans conteste – l’évolution la plus marquante de ces dernières années.

L’idée est relativement simple : nos médecins vont désormais utiliser des médicaments dont les effets seront calibrés spécifiquement sur notre profil génétique individuel. En cas de cancer, cette approche devrait permettre d’utiliser tout de suite les médicaments appropriés, alors que jusqu’à présent on tâtonnait pour trouver le produit qui aurait le meilleur effet sur le patient. C’est une véritable révolution dans la médecine de pointe que l’on se doit de saluer à sa juste valeur. Des centaines de chercheurs consacrent des efforts considérables à développer cette nouvelle approche de la médecine de pointe.

En plus – cerise sur le gâteau – nos compagnies pharmaceutiques nous promettent que cela réduirait le gaspillage sur des médicaments très coûteux ; par conséquent, cela ferait baisser les coûts de la santé. Sans vouloir cracher dans la soupe, on peut tout de même douter de ce dernier point : si la médecine personnalisée allait faire diminuer les coûts de la santé, on ne verrait pas des compagnies comme Novartis et Roche se ruer vers ce nouvel Eldorado. Au contraire, cette nouvelle approche va vraisemblablement coûter plus cher, mais elle permettra d’allonger l’espérance de vie de ceux qui en auront les moyens. L’offre paraît irrésistible.

On prolongera notre vie mais nous serons plus nombreux à peupler les maisons de retraite. Espérons que, d’ici là, on aura aussi trouvé moyen de prévenir la sénilité, ou cela risque d’être difficile à vivre. Un point demeure néanmoins certain : tôt ou tard, la Grande Faucheuse nous rattrapera. C’est une leçon que le héros Asclépios a apprise à ses dépens, comme le raconte si bien le poète Pindare.

Zeus s’est uni avec une belle jeune fille, Coronis, et l’a rendue enceinte. Celle-ci a cependant commis l’erreur d’admettre dans son lit un rival. Zeus prend très mal la chose : il foudroie Coronis alors qu’elle porte encore l’enfant dans son ventre. Coronis est morte, mais le dieu parvient à extraire le bébé du ventre de sa mère : il s’agit d’Asclépios, qui est confié à la bonne garde d’un centaure, Chiron, spécialiste de la médecine. C’est ainsi qu’Asclépios devient le meilleur médecin du monde. Bien des années avant l’introduction de la médecine personnalisée, il accomplit des miracles, jusqu’au moment où il va trop loin. Écoutons plutôt Pindare.

« Tout le monde venait à lui : des gens porteurs d’ulcères dans leur chair, d’autres qui avaient été blessés à un membre par le bronze brillant ou par le jet d’une pierre. D’autres encore avaient le corps détruit par le feu de l’été ou par le froid de l’hiver. Il sauvait chacun en le délivrant de sa souffrance : pour certains, il utilisait de douces incantations ; à d’autres, il faisait boire des potions ; à d’autres encore, il appliquait toutes sortes de remèdes sur leurs membres ; par la chirurgie, il remettait les gens sur pied.

Mais l’habileté aussi est prisonnière de l’appât du gain. L’or a incité même Asclépios – en faisant reluire dans sa main un salaire mirifique – à arracher à la mort un homme qui était déjà condamné. Mais Zeus, fils de Cronos, dirigea sa main contre les deux : les frappant en pleine poitrine, il leur coupa le souffle sur le champ. Par le feu de la foudre, il scella leur destin. Il ne faut demander aux dieux que ce qui sied à notre nature humaine : regardons devant nos pieds et reconnaissons notre condition. Mon âme ! Ne recherche pas une vie immortelle, mais reste dans le domaine du possible ! »

[voir Pindare, Pythique 3.47-62]

C’est raté : non seulement Asclépios ne parvient pas à sauver son patient, mais il perd la vie dans l’aventure. Zeus n’a pas permis qu’un médecin efface la différence entre les hommes et les dieux.

Soyons justes avec le corps médical : la médecine personnalisée que l’on développe pour nous constituera un progrès remarquable, et pour cela nous devons toute notre reconnaissance aux chercheurs qui s’y consacrent. Mais restons aussi lucides face à la condition humaine et à l’institution la plus démocratique du monde, à savoir la mort qui nous attend tous, tôt ou tard.

[image : Apollon confie le petit Asclépios à la garde du centaure Chiron ; gravure hollandaise, d’après Hendrik Goltzius, 1590]

Une réflexion sur “Médecine personnalisée : un pas de plus vers l’immortalité

  1. Je vous remercie pour les deux aspects de votre article: Pindare et le concept de médecine personnalisée. Pour le premier, Pindare, je dois dire que je ne connais pas bien ce poète, car lors de mes études de grec, nous n’avons jamais eu l’occasion de le lire: aucun texte, aucune version de Pindare et ce, sur des années… Je suppose qu’il était considéré comme trop difficile (comme les choeurs des tragédies ou certains passages de Thucydide). Et, en effet, étant donné que je tâche à chaque fois de lire le bref texte de grec auquel vous renvoyez, je vois que je reconnais le même vocabulaire que chez les tragiques, mais qu’il y a des mots dialectaux, plus rares. Votre blog m’a permis de lire quand même quelques lignes de ce poète.

    Pour la médecine personnalisée, je ne la connaissais pas non plus, mais je trouve ce concept très intéressant: pourquoi souffrir et attendre le bon médicament en en subissant plusieurs sans succès, s’il existe la possibilité d’en recevoir un auquel on réagira plus rapidement et mieux? C’est une bonne trouvaille. Qu’il s’agisse d’un cancer ou de la sénilité, la médecine a pour premier objectif de lutter contre la maladie et de nous aider à mieux vivre. En revanche, ni les patients ni les médecins ne devraient poursuivre comme but l’immortalité du corps. C’est une illusion, puisque dès qu’un enfant naît, il grandit et il est dans un processus naturel qui mènera un jour ou l’autre à la mort. C’est la loi même de la vie, c’est normal. Ce n’est pas comme les dieux grecs, les Immortels, qui sont figés dans un âge adulte situé autour de vingt ans, je crois, et qui n’en bougent plus. Par contre, les humains devraient pouvoir mourir en bonne santé, simplement comme une bougie qui s’éteint parce qu’elle n’a plus de matière, et non par maladie. La mort n’est pas un échec de la médecine. Si nous souhaitons l’immortalité sur Terre, c’est, à mon avis, parce que nous n’avons presque plus aucune culture de l’au-delà et encore moins un espoir d’au-delà satisfaisant. Evidemment, si l’on pense que tout s’arrête le jour où l’on meurt, on aura tendance à avoir peur de cette fin, peut-être même à préférer l’acharnement thérapeutique et à demander l’impossible à la médecine.

    En fait, ceci mène à la question de l’immortalité de l’âme, car ou bien il y a une immortalité de l’âme ou bien il n’existe pas du tout d’immortalité.

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